1000 Bornes

Un jeu qui tient la route

L’achat récent et imprévu d’un exemplaire moderne du fameux jeu français 1000 Bornes m’a remis en mémoire la longévité et la renommée de ce jeu. En effet, ce nouvel exemplaire, dans une jolie petite boîte métallique, vient des États-Unis.

Édition de 2014 du Mille Bornes pour les USA.

Un éditeur concepteur de jeux

Que de bornes parcourues depuis la création du jeu, en 1954, par Arthur, dit Edmond Dujardin (1905-1964) ! Nordiste relocalisé à Arcachon (33) pour des raisons de santé, Dujardin était un imprimeur, éditeur de matériels didactiques pour auto-écoles, doublé d’un auteur de dictionnaires de langues. Ajoutons qu’une surdité congénitale l’avait conduit à apprendre à parler grâce à la méthode de J.-R. Pereire basée sur l’oralisation d’images et de signes. Tout ceci n’est bien sûr pas étranger au succès du jeu. Le 1000 Bornes fut précédé par trois autres jeux de société automobiles signés E. Dujardin :

L’Autoroute, un mot particulièrement synonyme de modernité dans l’immédiat après-guerre. Ce jeu, dit de plateau, lancé en 1947 obtint la médaille d’argent au Concours Lépine en 1949. Il a été remis à jour à chaque décennie jusqu´en 2010, en fonction des modifications successives du code de la route.

Panonceau publicitaire bilingue et distinction au Concours Lépine en 1949.
Jeu de L’Autoroute sorti en 1947.

• Stock Cars, un jeu de course d’autos américaines sorti en 1950.

• L’Autostop. En 1951, Dujardin récidiva avec un autre jeu de plateau automobile dénommé Autostop, non pas en référence aux voyageurs du bord des routes, mais aux stops de différentes natures, soit par non respect du code de la route, soit semés sur la route des concurrents pour les empêcher d’atteindre Stopville les premiers. Ce jeu qui remporta une médaille de bronze fut éphémère. Mais l’idée faisait sont chemin…

L’Autostop préfigure le 1000 Bornes.

L’imparable coup fourré

Trois ans plus tard, en 1954, naissait le 1000 Bornes, un nouveau jeu décrit par son auteur comme une Canasta de la route. Le qualificatif de nouveau est relatif puisque ce jeu est largement inspiré du jeu américain Touring de William Janson Roche paru en 1906 et toujours réédité depuis.

Jeu de cartes Touring paru aux États-Unis en 1906.

Le mérite d’Edmond Dujardin fut d’ajouter ce que les anglo-saxons appellent eux-mêmes, en français dans le texte, le coup fourré.

Coups fourrés et chausse-trapes pimentent le parcours des 1000 Bornes.

Le déroulé du jeu n’est plus laissé au hasard d’un tirage de cartes mais devient tactique avec interaction entre les joueurs par des “coups” (crevaison, feu rouge, panne d’essence…) pour retarder l’adversaire comme dans l’Autostop.

1000 Bornes, le Canasta de la route, de 1954.
La ressemblance entre les cartes des deux jeux n’est pas fortuite. Les km remplacent les miles.

La Route des vacances

Le nom du jeu est un trait de génie commercial, associant le jeu aux presque 1000 km de la Nationale 7 (996 km en fait), la populaire route des vacances de l’époque célébrée par Charles Trenet. Le succès est fulgurant et près d’un million d’exemplaires sont vendus dans les années cinquante.

Nationale 7, chanson composée par Trenet en 1955.

Un “Jeu de notre temps” toujours au goût du jour

La famille Dujardin se voit contrainte de déménager sa maison d’édition vers des locaux plus grands, une ancienne pêcherie rénovée sise à La Teste-de-Buch (33).
En 1960, Edmond Dujardin décida qu’un toilettage des illustrations s’imposait et il en confia la tâche au graphiste français Joseph Le Callennec (1905-1988) qui créa, entre autres, le célèbre logo de la marque La Pie qui chante.

Un nouveau design épuré pour un jeu à succès.
Carte d’avant 1960 (à gauche) et après (à droite).

Parallèlement, Dujardin commanda au dessinateur Pierre Praquin, un exercice de style pour une boîte à diffusion limitée, dénommée 1000 Bornes spécial.

Belle esthétique mais lecture difficile pour le jeu.

1965 est l’année de l’internationalisation du jeu en Grande-Bretagne, Italie, Allemagne de l’Ouest (sous le titre “1000 km”), Espagne… Le reste du monde suivra. En Amérique du Nord, où Parker Brothers en assure la diffusion comme pour Touring, le jeu s’appelle Mille Bornes (et non 1000 Bornes), conformément à la décision de Edmond Dujardin pour les pays anglo-saxons.

1000 Bornes en couverture de la Revue du jouet du N° 101 de septembre 1966.
Revue du jouet N° 101 page intérieure.

15 millions x 1000 Bornes

Au cours du temps, les boîtes de jeux qui ne cesseront de se diversifier comme Les 1000 Bornes de la France, sorti en 1999, et qui allie le jeu traditionnel à un ensemble didactique avec 15 itinéraires pour explorer la France. Chose curieuse, comme en témoigne mon exemplaire du début, daté de 2014, les illustrations des cartes du jeu de base sont toujours celles de 1960.

Édition de 1975.
Édition de 1999 avec une carte informative.

En 2007, alors que le jeu est maintenant produit à Cestas (33), les Éditions Dujardin sont rachetées par le groupe TF1 Games qui les revendra en 2021 au Néerlandais Jumbodiset. Mais le 1000 Bornes est toujours vivant, en partie accroché à de nombreuses franchises et il est même devenu également un jeu de plateau pour les jeunes enfants, toujours sous le logo Dujardin. Depuis 1954, quelque 15 millions de jeux ont été vendus et la revue américaine Games Magazine l’a sélectionné dans son Hall of Fame ne regroupant que 25 jeux mondiaux.

Tous les jeux d’autos Edmond Dujardin
Les éditions Edmond Dujardin ont publié différents jeux de plateau liés à l’automobile : L’Autoroute en 1947, Stock-cars en 1950, L’Autostop en 1951, 1000 Bornes en 1954, Carrefours, Randonnée et Pin-Pon (jeu de cartes) en 1955, Paneuropéenne en 1958, Radio-Kart en 1962, Hell Valley en 1965.

Publicité de presse de 1955.

Estimation : Vu sa popularité et sa longévité, ce jeu se trouve facilement. Selon l’époque de l’édition, il se négocie entre 5 € et 25 € pour un exemplaire complet en bon état.

Bernard Gloux
Collectionneur