Boîtes de magie

Pendant longtemps, les tours de magie ont été la spécialité de quelques bateleurs qui, dans les foires, étonnaient les spectateurs ébaubis avec parfois le désir de les détrousser avec l’aide de quelque complice. Les escamoteurs utilisaient surtout les gobelets et les muscades. Le tableau bien connu de Jérôme Bosch (1450/-1516), nous en montre plusieurs. Mais au milieu du XIXe siècle, grâce à un illusionniste de génie, Robert- Houdin, cela devint une distraction de salon et un amusement pour enfant.

À la fin du siècle tous les accessoires de l’illusion pouvaient s’acheter chez des fabricants marchands spécialisés en “Physique amusante” tels, par exemple, Charles De Vere, 39 rue de Trévise à Paris, Duval et Logeat, successeurs de la maison Jullien, rue des Archives, ou encore les maisons S. Dick, 17 Passage des Panoramas, et H. Billy, 8 rue des Carmes.

De Vere, fabricant de Physique amusante.
Affiche Robert-Houdin, 1880 (©BNF)

Sciences et prestidigitation

En cette fin de siècle les découvertes de la science émerveillaient et laissaient présager un avenir radieux. C’était l’époque où Arthur Good, alias Tom Tit, publiait avec succès ses livres de “Science amusante” qui proposaient des explications concernant des expériences de physique exécutées à l’aide d’objets usuels et qui pouvaient passer pour des tours de magie. C’est un « habile mécanicien-ingénieur » du nom d’André Voisin (1807-1875) qui, en 1834, ouvrit, 81 rue Vieille-du-Temple à Paris, un magasin consacré exclusivement à la vente d’appareils de prestidigitation, depuis les plus simples jusqu’aux plus compliqués, qu’il fabriquait pour tous les grands magiciens de l’époque tel Robert-Houdin.
Ce furent les premiers jouets d’escamotage. Leur succès fut très grand, tant la magie attire les enfants, mais comme le terme de “magie” avait encore à l’époque une connotation diabolique, ils étaient le plus souvent vendus dans des coffrets appelés boîtes de “Physique amusante” et non de “Magie”. Dans les grands magasins du temps comme Le Printemps, en 1884, une telle boîte coûtait de 26,5 à 14,5 francs.

Extrait du catalogue du Printemps, 1884.

Cette fabrication était de grande qualité, beaucoup de ces jouets tels les boites à millet ou les œufs gigognes étaient en buis, les fibres fines et résistantes de ce bois permettant un tournage très précis. En revanche les gobelets destinés à escamoter les pièces de monnaie étaient confectionnés en fer blanc soudé.

Deux boîte de Physique amusante

• La première est une petite boîte de Physique amusante fabriquée par Simonin-Cuny. Cette manufacture de jeux créée avant 1894 avait son siège à Gérardmer (88) et à Paris 7 rue de Braque. Elle migrera au 156 rue Oberkampf à Paris en 1898. Les fondateurs en sont Lucien-Napoléon Simonin né en 1845 à Gérardmer et Agathe Cuny née en 1854. Ils s’étaient mariés et avaient créé à l’origine une “Manufacture de boîtes en tous genres”. Par la suite, la société fabriquera des jouets (poupées, ménagères, figurines) ainsi que des jeux. Les jeux sont identifiés par les initiales S.C., le plus souvent encadrant les armes de la ville de Paris, comme sur notre boîte de Physique.

Simonin-Cuny, Paris.

Elle s’inscrira sous le N° 122 pour la marque “Article français” conçue afin de protéger les jouets français de la concurrence allemande. L’entreprise sera absorbée, en 1904, par la société JJF, Jeux et Jouets Français.
Notre boîte date d’avant 1904. Sur son couvercle on lit le mot Physique. Elle contient une notice explicative et plusieurs objets de magie.

Boîte de Physique amusante, 22 x 13,5 x 11 cm.

— Les piliers de Salomon, où le manipulateur a soin de tenir l’une contre l’autre les deux colonnes traversées par un cordon qu’on tire à droite et à gauche pour faire voir qu’il les traverse bien, il propose alors à un spectateur de passer un couteau entre les deux colonnes pour couper le cordon. Il souffle ensuite dessus pour les raccommoder. Pour le prouver, il tire le cordon à droite et à gauche comme si ce dernier traversait toujours les piliers.
Le tour des gobelets, appelé aussi jeu de bonneteau, se fait avec trois gobelets et deux muscades en liège La manœuvre consiste à faire paraître et disparaitre la muscade, le spectateur devant retrouver sous quel gobelet elle est cachée.
— La boîte aux dés, c’est une boîte carrée qui n’est qu’une enveloppe d’un dé en bois avec à l’intérieur un double dé en fer, permettant un tour de passe-passe.

• La seconde boîte est plus grande et plus variée. Elle mesure 45x30x15cm. Elle est marquée “Physique” avec dessinés un maillet et un coquetier aux œufs. On y remarque aussi le logo JJF que voici.

Logo Jeux et Jouets Français (JJF).

Au revers de ce couvercle, on trouve un miroir et des étagères.
Elle a été fabriquée par la société des Jeux et Jouets Français qui est née en 1904, à l’initiative d’Alphonse Wogue de la société Wogue & Lévy, de l’union des entreprises Wogue & Lévy, Simonin-Cuny et Mauclair & Dacier auxquels s’adjoindra en 1905 la maison Delahaye. La société a son siège au 10 rue de la Douane. Comme pour la SFBJ en 1899, JdeP en 1902, le but de ces regroupements est de se protéger de la concurrence allemande. Mais celle-ci fut trop forte et la nouvelle société les Jeux et Jouets Français cessera son activité en 1931.

JJF propose mille tours dans la boîte.

Ce coffret contient de nombreux objets en buis : Les Piliers de Salomon, Le Vase à la muscade, Le Baril au millet, La Boîte à repoussoir, Le Maillet escamoteur, Les Boîtes aux graines, La Bouteille à escamoter, La Boîte aux dés, deux muscades en liège, Les Boîtes jumelles (il manque la deuxième), trois gobelets en métal avec trois balles en drap. On y trouve aussi un petit livret édité par les Jeux et Jouets Français avec 9 notices en français et en anglais explicatives des tours qui peuvent être faits avec ce coffret de magie.
À la différence de beaucoup de jeux et jouets qui sont passés de mode au profit des jeux vidéos, les jeux de magie séduisent toujours les enfants, stimulant leur dextérité et excitant leur attrait pour le merveilleux. Les films Harry Potter ont beaucoup contribué à maintenir cette appétence. On trouve donc toujours dans les magasins de jouets de telles boîtes de magie, mais elles ne s’appellent plus Physique amusante mais bien boîtes de magie.

Estimation : compter 500 à 1000 €, en fonction de la taille du coffret et de la variété des accessoires de magie qu’il contient.

Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens