Pour jouer à la guerre
Part. 1 : Les soldats de papier
Dans le courant du 19e siècle, et même au-delà, les militaires jouissaient d’un grand prestige. Les souvenirs glorieux des batailles impériales qu’on racontait aux enfants, le soir à la veillée, dans les campagnes les plus reculées, la cuisante défaite de 1870 dont il fallait laver l’affront, le prestige des uniformes chamarrés, aux couleurs éclatantes, le fait que dans beaucoup de petites villes il y avait des casernements, avec des soldats qui défilaient chaque dimanche au son des tambours et des trompettes, tout cela ne pouvait que fasciner les petits garçons. D’autant qu’en ce temps-là, nombre de paysans, s’ils ne pouvaient tirer le bon numéro qui les exemptait de la conscription, en prenaient pour sept ans, ce qui leur donnait l’occasion de découvrir le monde au-delà des limites de leur département et de conter ensuite leurs aventures embellies à souhait à leurs petits-enfants émerveillés. Ajoutons enfin que ces derniers étaient éduqués, nous dirons même conditionnés, pour récupérer l’Alsace et la Lorraine. Être soldats était donc le rêve de tous les petits garçons. Aussi voulurent-ils jouer aux petits soldats.
Les imprimeurs en première ligne
On fabriqua donc des jouets militaires vendus dans les bazars ou les grands magasins. Il y en eu pour toutes les bourses. Les soldats les moins onéreux étaient en papier à découper, imprimés sur des planches éditées en grande série à Épinal, Nancy ou Strasbourg et vendues par des colporteurs dans les villages les plus reculés. Ces planches représentaient des militaires, le plus souvent du premier Empire ou de la Révolution qu’il fallait découper, et coller sur du carton fort ou sur des planchettes. L’enfant les déplaçait ensuite au gré de sa fantaisie.
Ci-dessus, un lot de 66 figurines de 14 cm de haut, officiers, sous-officiers ou soldats, surtout d’époque Empire ou révolutionnaire en papier découpé, datant de la fin du 19e siècle. Probablement éditées à Strasbourg, elles sont chromolithographiées et contrecollées sur des planchettes doublées de papier bleu. Les uniformes rutilants sont fidèlement reproduits et les figurines finement découpées.
Des boîtes complètes
Des imprimeurs et marchands d’estampes éditeront aussi des boîtes de jeux contenant des figurines militaires en papier découpé. En voici un exemple : La Guerre du Mexique réalisée par le marchand d’estampes, imprimeur et éditeur, François-Désiré Gosselin, actif à Paris au 71 rue Saint-Jacques, de 1840 à 1869.
Cette boîte date des années 1860 et évoque la tragique expédition du Mexique (1861-1867). Y sont représentés les combattants de la Guerre du Mexique, mais aussi des militaires d’époque Louis XV ou de la campagne d’Italie de 1859. Elle est en parfait état et les figurines chromolithographiées sont intactes et d’une grande fraîcheur de coloris. Le couvercle présente une image coloriée signée M. Jonn ( ?), avec le nom de l’éditeur : Paris, Gosselin, Édit. Impr. Rue Saint-Jacques, 71 et celui de Gadola à Lyon (il s’agit de Jean-Baptiste Gadola (1818-1870), éditeur, marchand d’estampes et fabricant de cadre, actif à Lyon, connu pour sa collaboration avec Gosselin), avec le titre : “Guerre du Mexique, Puebla, Prise du Faubourg de Santiago”.
L’idée d’imprimer des soldats à découper va perdurer jusque dans les années 1950 avec la série “Pro Patria”, éditée par H. Bouquet à Paris.
Claude Lamboley