Le ressort de la peur
Voici un jouet que l’on appelle en Grande-Bretagne « Jack-In-The-Box » et en France « Un diable en boîte » ou « Diable à ressort ». Ce jouet consiste en une boîte mécanisée qui s’ouvre brusquement à l’aide d’un bouton poussoir ou parfois d’une manivelle qui déclenche une musique comme dans les boîtes à musique. C’est alors que brusquement en jaillit un diable, un clown, une marionnette ou tout autre personnage censé effrayer l’enfant qui se trouve devant. C’est un jouet classique qui a été apprécié par des générations d’enfants et qui continue d’être populaire aujourd’hui.
Une origine incertaine
La tradition prétend que ce nom vient d’un prélat anglais du XIIe siècle, Sir John Schorne, dont on raconte qu’il aurait enfermé un diable dans une boîte pour protéger le village de North Marston dans le Buckinghamshire, Jack étant le diminutif médiéval de John. Une autre hypothèse est que ce jouet est né au XVIe siècle en Europe, où il était connu comme une “surprise à ressort”. C’était alors un jouet apprécié par l’aristocratie qui était souvent offert en cadeau aux enfants. Au fil du temps, le Jack-In-The-Box s’est démocratisé et a finalement été produit en série au 19e siècle.
Diable ou bouffon
Notre boîte, de forme cubique (20 x 18 x 18 cm), date probablement de la fin du XIXe siècle. Elle est en bois, peinte en vert, sa face antérieure porte le nom de Nicolas avec quelques volutes d’allure maladroite, ce qui laisse supposer que la fabrication de cette boîte a été artisanale. Son couvercle s’ouvre grâce à un bouton poussoir peint en jaune et libère alors brusquement une marionnette.
Celle-ci, à la différence des marionnettes animées par la main d’un manipulateur, est mue par un ressort à boudin fixé au fond de la boîte qui se détend quand le couvercle s’ouvre. À son extrémité il y a une tête sculptée dans du bois de tilleul, coiffée d’un chapeau en feutre noir, à la manière de celui de Guignol, le visage est peint en rose, la barbe étant suggérée par une couleur grise. Il a deux dents visibles dans la bouche semi-ouverte de couleur rouge. Les cheveux sont suggérés par quelques traits peints en noir sur la nuque. Il porte un foulard rouge. Le ressort est masqué par une sorte de tunique en tissu foncé à motifs comme celle qui cache la main du manipulateur de marionnettes. Il a deux bras mobiles cachés par les manches de la tunique avec des mains en bois en forme de battoir.
Un jouet artisanal rudimentaire
C’est manifestement un jouet élémentaire, voire même basique : on aplatit ce pauvre diable, il se redresse, on le repousse plus bas, il rebondit plus haut, on l’écrase sous son couvercle, il fait alors tout sauter et pourtant l’effet de surprise est toujours au rendez-vous. On a beau renouveler plusieurs fois la manœuvre, chaque fois la surprise est toujours plus excitante. Cela s’explique par le suspense angoissant qui met l’enfant en condition quand on lui présente ce jouet en lui disant qu’il va voir le diable. Lorsqu’il déclenche l’ouverture de la boîte, l’impression d’agression, provoquée par le brusque surgissement du diable, crée chez lui une sensation contradictoire, d’abord une réaction réflexe de défense et de frayeur, ensuite, réalisant qu’il n’y a pas de menace réelle, un sentiment d’amusement délicieux que déclenche invariablement cette fausse alarme.
Un si doux sentiment de peur…
Cette séquence photographique avec mon petit-fils montre bien l’enchaînement des réactions émotionnelles : la crainte au moment où le diable sort de sa boîte, l’enfant ferme alors instinctivement les yeux, ensuite la curiosité, il cherche dans la boîte d’où vient ce diable, puis la familiarité jusqu’à le caresser.
Ce jouet a été l’objet de controverse. Certains pensaient qu’il fait trop peur aux enfants pouvant les traumatiser. D’autres estimaient qu’il est inoffensif et constitue simplement une façon amusante de les divertir. Il y a même eu des débats sur la question de savoir si le jouet devait être interdit ou modifié pour le rendre moins effrayant. C’est oublier que les enfants aiment se faire peur, surtout quand ils savent qu’ils ne craignent rien. L’exemple le plus probant ce sont les contes de Perrault qui mettent en scène des récits souvent angoissants, telles les histoires d’ogre ou de loup mangeurs de petits enfants. Mais comme l’enfant sait que cela se terminera très bien, ce sont des frissons à bon compte dont il ne se lasse pas, aussi redemandera-t-il qu’on lui relise chaque soir un de ces contes.
Estimation : il est difficile de préciser une évaluation car on ne trouve que très occasionnellement un tel jouet aussi ancien, le plus souvent ce sont des jouets vintages qui datent au mieux des années 1950-60. À titre indicatif notre jouet a été acheté 1300 francs lors d’une vente aux enchères à Paris, en 1999. On peut donc raisonnablement l’estimer entre 180 et 200 €.
Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens