La propagande par le jeu

Dans notre notice sur les Jeux de l’Oie, nous avions évoqué le fait que ces jeux de parcours ont souvent été conçus et utilisés pour illustrer des thèmes très divers tels que la publicité, les transports, l’architecture ou la littérature. L’actualité et la propagande politique ont une place de choix parmi ces thèmes. À l’occasion des prochaines élections présidentielles (celles d’avril 2022), il m’a paru amusant de remettre en mémoire un jeu de l’Oie très politique datant des premières années de notre République : le Jeu de l’Oie du Général.
Le funeste parcours d’un général
Mais de quel général s’agit-il ? Naturellement, du “brave général ”, comme l’appelaient ses très nombreux admirateurs en cette fin du 19e siècle, figure incontournable de la IIIe République, bien oublié aujourd’hui. Pourtant il a failli renverser la République, à une époque où celle-ci était encore bien fragile. Rappelons qu’elle n’avait été votée qu’à une seule voix de majorité, lors de l’adoption, le 30 janvier 1875, de l’amendement Henri Wallon, qui prévoyait que : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale ». Incarnant, dans la France humiliée par la défaite de 70, l’homme providentiel pour les mécontents de tous bords, des républicains radicaux aux monarchistes en passant par les bonapartistes, ce militaire à la retraite, ancien ministre de la Guerre, élu député en 1889, fit trembler pendant deux ans la jeune République qui sortit renforcée de cette crise. Le général, menacé par le lancement d’un mandat d’arrêt pour complot contre la sûreté de l’État, fut contraint à l’exil et se suicida le 31 septembre 1891.
Un jeu de l’Oie historique
Le Jeu de l’Oie du Général reste pour les collectionneurs l’illustration de cet épisode historique. Il a été publié dans le supplément N° 13 de quatre pages du Figaro daté du 30 mars 1889. Selon les indications figurant en marge, son impression sous forme de lithographie était assurée par l’Imagerie d’Épinal fondée en 1796, Pellerin & Cie imprimeurs, et son édition par Glucq sis 56 rue Nollet à Paris, — Publicité industrielle et propagande politique par l’imagerie populaire —. Le dessinateur est anonyme.
C’est sur la page 4, consacrée aux boulangistes, qu’est représenté le jeu de l’oie. En partie haute, figure un portrait à cheval du général entouré de deux vignettes, celle de gauche le représentant lors de la revue du 14 juillet 1886, celle de droite fait référence à la pacification de la Tunisie en février 1884. Au-dessous, se déploie “L’éventail Boulangiste”, un kaléidoscope de personnalités boulangistes, soit onze hommes portant chapeau haut de forme et redingote queue de pie, camélia à la boutonnière, dansant bras dessus bras dessous, parmi lesquels on retient quelques noms connus : Déroulède et Michelin. En partie basse, est dessiné le Jeu de l’oie du général.

Dans ce parcours, les oies sont remplacées par le général, et ses aléas traditionnels par des évènements politiques en rapport avec le général Boulanger que connaissaient bien les lecteurs de l’époque. Ainsi, à la case 31 le Puits est-il remplacée par “Disponibilité”, à la case 42 le Labyrinthe par “Conseil d’enquête”, à la case 52 la Prison par “la Retraite”, à la case 58 la Mort par “N’en faut plus”, avec les mêmes conséquences de pénalités. À la case ultime 63, le Jardin de l’oie est transformé en “Sacre du général”.
Bolangistes, royalistes, bonapartistes aux élections

La première page évoque la République devant les élections. La rédaction du Figaro, dans un avertissement titré “Les images de la République”, y justifie son supplément en soulignant que « Rien n’échappant plus à la politique, l’image populaire, jadis confinée dans les Contes de Fées, la naïve et vieille Image d’Épinal, est entrée à son tour dans la carrière. Elle est devenue un instrument de propagande ».
Tandis que la page 4, nous l’avons vu plus haut, est consacrée au Boulangisme, les pages 2 et 3 montrent, chacune, deux autres tendances politiques de l’époque :
— Les royalistes avec le comte de Paris

— Les bonapartistes avec le prince Victor Napoléon

Estimation : Ce jeu de l’oie se négocie autour de 150 € en bon état.
Collectionneur de jouets anciens