Jouets d’optique

Le phénakistiscope

La boîte du phénakistiscope illustrée d’une lithographie signée Junin et Lazard à Paris.

Itinéraire d’un collectionneur

L’exposition actuelle au Musée d’Orsay “Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France 1833-1907” me donne l’opportunité de vous parler de ma passion pour les jouets qui sont à l’origine du cinéma, cette merveilleuse invention par les frères Lumière. Depuis mon enfance j’ai toujours été attiré par les jouets d’optique. Déjà, vers l’âge de 10 ans, je m’étais mis en tête de fabriquer une lanterne magique avec une boîte en bois, une lentille et une bougie. Il faut avouer que le résultat n’avait pas été très probant. C’est ce qui m’a conduit plus tard à collectionner les lanternes magiques. J’ai, d’ailleurs, écrit pour le site Jouets anciens de collection, une notice sur ces lanternes et sur les plaques, certaines animées, que l’on projetait avec cet ancêtre de nos projecteurs de diapositives actuels.

La fascinante image vivante

Mais, ce qui m’attirait le plus, c’était le cinéma avec le miracle de l’animation de l’image. Il est vrai, que la télévision était encore balbutiante, seuls existaient les films que l’on projetait dans les salles de cinéma, ou que mon père, dès les années 20, avait réalisés en 9,5 mm avec une caméra Pathé. Devenu adulte, collectionnant les jouets, je rêvais, naturellement de posséder un de ces jouets d’optique qui ont participé à l’animation de l’image.

A la découverte de l’oiseau rare

L’un d’entre eux me fascinait plus particulièrement : le phénakistiscope. Ce jouet au nom mystérieux était rare et de ce fait très cher à l’achat. Aussi, quelle fut ma surprise quand, dans les années 90, un commissaire-priseur de mes amis m’annonça qu’il m’avait acheté, à mon insu, une caisse de jouets en vrac. Il ne savait pas ce que cette caisse contenait, mais le prix qu’il en avait obtenu, 50 anciens francs (soit 0,076 euros !), pouvait excuser l’audace qu’il avait ainsi manifestée. Il y avait beaucoup d’épaves de trains ou d’automobiles jouets. Sans réel intérêt.

Disque en carton illustré de 10 gravures rehaussées de couleurs.

Mais ce qui attira mon attention fut un disque en carton, puis un autre, puis…en tout six disques. Devinant qu’il s’agissait d’éléments d’un phénakistiscope, j’en cherchais fébrilement le manche… Il était là, au milieu du fatras. Le jouet était donc complet, il suffisait de le remonter, il manquait seulement le miroir qui, à l’origine, l’accompagnait dans sa boîte.

Un phénakistiscope, qu’est-ce que c’est ?

C’est un jouet scientifique, son nom est formé du grec phenax-akos, “trompeur”, et skopein, “examiner”. Ce jouet optique a été inventé en 1832 par un physicien belge, Joseph Plateau (1801-1883), mais breveté en France par Alphonse Giroux en 1833. Du fait de ce qu’on appelle couramment persistance rétinienne, il donne l’illusion du mouvement. Ce jouet est d’autant plus remarquable que c’est la première fois qu’une image s’animait.

L’illusion d’optique est basée sur la persistance rétinienne.

Baudelaire, dans Morale du joujou, publié dans le Monde littéraire de 1853, en fait une description admirative :
Supposez un mouvement quelconque, par exemple un exercice de danseur ou de jongleur, divisé et décomposé en un certain nombre de mouvements ; supposez que chacun de ces mouvements, – au nombre de vingt, si vous voulez, – soit représenté par une figure entière du jongleur ou du danseur, et qu’ils soient tous dessinés autour d’un cercle de carton. Ajustez ce cercle, ainsi qu’un autre cercle troué, à distances égales, de vingt petites fenêtres, à un pivot au bout d’un manche que vous tenez comme on tient un écran devant le feu. Les vingt petites figures, représentant le mouvement décomposé d’une seule figure, se reflètent dans une glace située en face de vous. Appliquez votre œil à la hauteur des petites fenêtres, et faites tourner rapidement les cercles. La rapidité de la rotation transforme les vingt ouvertures en une seule circulaire, à travers laquelle vous voyez se réfléchir dans la glace vingt figures dansantes, exactement semblables et exécutant les mêmes mouvements avec une précision fantastique. Chaque petite figure a bénéficié des dix-neuf autres. Sur le cercle, elle tourne, et sa rapidité la rend invisible ; dans la glace, vue à travers la fenêtre tournante, elle est immobile, exécutant en place tous les mouvements distribués entre les vingt figures. Le nombre des tableaux qu’on peut créer ainsi est infini.

Tout est dit.

Le précurseur du cinématographe

Ce jouet est constitué d’un manche en bois avec une tige en laiton sur laquelle est vissé un disque stroboscopique de 25 à 30 cm de diamètre, sur le pourtour duquel est dessinée une figure dont le mouvement est décomposé en plusieurs images représentant chacune une phase de ce mouvement. On place ce disque sur un autre disque opaque de couleur noire, d’un diamètre supérieur, sur le pourtour duquel sont découpées autant d’ouvertures qu’il y a d’images. En se plaçant devant un miroir et en regardant par les trous les images réfléchies par le miroir, lorsqu’on fait tourner les disques sur leur axe, l’image s’anime comme par miracle.

Phénakistiscope complet avec son manche et ses disques.

Inutile de dire que cette découverte m’a motivé pour rechercher d’autres jouets d’optique aux noms savants qui témoignent de la grande culture des inventeurs du 19e siècle : le zoograscope, le praxinoscope, le cinématographe enfantin… Autant de merveilles qui feront l’objet de futures notices pour Jouets anciens de collection.

La boîte et l’appareil à manche en laiton pour tenir sur le même axe un disque stroboscopique et le disque obturateur. (Collection Centre national du cinéma et de l’image animée, © S. Dabrowski).

Estimation : Le phénakistiscope est un jouet assez rare qui se négocie entre 1000 et 1500 €, voire plus quand il se trouve dans sa boîte avec son miroir. Chaque disque est vendu 50 à 100 € pièce.

Claude Lamboley

Collectionneur de jouets anciens