Jouets militaires japonais

2 – L’après-guerre

Nomura Toys, porte-avion Coral Sea, L. 22 cm.

Depuis 1938, de nombreuses usines de jouets, pour la plupart inactives en raison du rationnement des métaux, se reconvertissaient dans la fabrication des pièces d’avions, des douilles de bombes et d’autres articles à usage militaire. Avec l’entrée du Japon dans la Guerre Mondiale, cette production augmenta et les matières premières ne tardèrent pas à se raréfier. En 1943, en plein conflit, ces industriels furent contraints de restituer tous les moules en acier de leurs jouets, qu’ils gardaient jalousement dans l’espoir de les réutiliser une fois la guerre terminée.
À partir de juin 1944, l’armée de l’air américaine lance une campagne de bombardements stratégiques visant spécifiquement les zones industrielles de Tokyo, avec des résultats insatisfaisants pour les commandants américains. Ils changèrent donc leurs explosifs conventionnels contre des bombes incendiaires et le 10 mars 1945, sous le nom d’Opération Meetinghouse, près de 300 bombardiers Boeing B-29 Superfortress dévastèrent l’est de Tokyo, provoquant la mort de plus de 100000 civils et la dévastation de ce qu’il restait de l’industrie.
Avec la capitulation du Japon en août 1945, les États-Unis occupent le pays dans le but de le démocratiser grâce à des réformes dans les domaines militaire, politique, économique et social. Sans aucun doute, il était indispensable de reconstruire les usines endommagées, puis d’augmenter le flux de marchandises à destination et en provenance du Japon, où la pénurie de tous types de biens était absolue.
Aux États-Unis, la concentration de l’industrie sur l’effort de guerre entraîna le manque de jouets pourtant considérés comme une priorité pour les enfants. Le Japon allait émerger comme un acteur important dans la fabrication des jouets, en échange de nourriture et d’autres ustensiles nécessaires à la survie de sa population.

La jeep de Kosuge

À cette époque, il n’y avait pratiquement pas de véhicules sur les routes ni d’essence au Japon, à l’exception de vieux bus qui utilisaient du charbon de bois comme carburant. Seules les petites Jeeps rapides et polyvalentes de l’armée américaine se démarquaient dans le paysage des villes dévastées, suscitant la curiosité et l’admiration de leurs habitants.
Matsuzo Kosuge, un fabricant de jouets expérimenté qui avait créé son industrie en 1922 et connaissait très bien les secrets de l’exportation, a eu l’idée de miniaturiser la remarquable Jeep. Cependant, se trouvant dans impossibilité d’obtenir les dimensions d’un véhicule militaire de l’armée victorieuse, il eut l’idée d’utiliser une serviette humide qu’il plaça pendant plusieurs nuits à côté d’une Jeep pour prendre les mesures de son châssis. Fort de ces informations, il élabora des plans pour mettre la miniature en production.

La récupération au service du jouet

Les canettes recyclées provenant d’une poubelle d’un hôtel où séjournait l’armée américaine étaient la matière première “autorisée”. A l’atelier, elles étaient ouvertes, nettoyées à la soude caustique, aplaties à l’aide d’une presse à rouleaux et embouties sur des moules en bois improvisés. Puis, après avoir été assemblées à la main, les pièces étaient peintes. Les mécanismes d’horlogerie ne consistaient qu’en un simple élastique pour propulser le petit véhicule. De la chaîne de montage sommaire sortait un petit convoi de jeeps de dix centimètres de long qui attirait quotidiennement l’attention des Japonais.


Bien que la qualité finale de cette Jeep n’atteigne pas les standards des jouets produits par Kosuge avant la guerre, il est indéniable qu’elle en a parfaitement capturé l’essentiel, avec des détails tels que les étoiles blanches sur les côtés et le capot et le pare-brise rabattable. La petite Jeep est ainsi devenue le premier jouet produit en série au Japon dans l’après-guerre.

Marubutsu, le plus grand magasin de Kyoto et le seul détaillant encore existant dans cette ville se chargea de sa commercialisation en décembre 1945, quatre mois seulement après la fin de la guerre, au prix très abordable de 10 yens. Le premier lot de centaines de Jeeps s’est vendu en une heure. Face à un tel succès, Kosuge augmenta sa production et améliora le véhicule, en remplaçant l’élastique par un mécanisme d’horlogerie et en le présentant dans une boîte en carton brut marqué “Jeep”. Peu de temps après son lancement, plus de 100 000 unités avaient été écoulées.
L’initiative de Kosuge éclaira ses collègues car, dans l’immédiat après-guerre, il était extrêmement difficile d’obtenir des matériaux par les voies régulières. En conséquence, l’Association japonaise du jouet créa l’Association coopérative des entreprises de nettoyage, qui a reçu l’autorisation de gérer la décharge des forces d’occupation en échange de la récupération des milliers de conteneurs en fer blanc abandonnés. L’approvisionnement en matières premières étant ainsi assuré, l’industrie du jouet au Japon pouvait commercer à renaître.

Kosuge, Jeep en tôle peinte, mécanisme à ressort et d’horlogerie, 1945, L. 10 cm. (©Collection Matt Alt).

Made In Occupied Japan

En 1947, les produits japonais ont commencé à arriver aux États-Unis, après que les douanes conditionnèrent leur entrée à la mention Made In Occupied Japan. Lorsque les articles inspectés ne présentaient pas leur identification d’origine, ils étaient refoulés. Pour pallier les éventuelles erreurs douanières, les détaillants étaient également chargés de cette vérification avant la mise en vente.

Soldats Occupied Japan, fabricant inconnu, plomb creux, 1947, H. 54 mm. (©Coll. de l’auteur).

L’histoire du Boeing B-29 de Tomiyama

En 1948, après la réglementation définitive des exportations du Japon vers les États-Unis, Eiichiro Tomiyama rouvre les portes de Tomiyama Toy Manufacturing, l’une des plus importantes usines de jouets du Japon, fondée en 1924. Quelques années plus tard, en 1951, Tomiyama surprend son équipe avec les plans d’un avion de 37 cm de long et de 39 cm d’envergure. Outre ses dimensions impensables, ce jouet reproduisait le bombardier américain Boeing B-29 qui avait dévasté une grande partie du Japon lors de ses attaques et qui avait été le porteur des bombes atomiques qui détruisirent Hiroshima et Nagasaki. Cependant, Tomiyama fut très clair sur son objectif :

« Le Japon a été ravagé par cet avion durant la guerre, mais du point de vue des États-Unis, cet avion est probablement celui qui s’y est le plus distingué. C’est pourquoi, nous allons créer un produit qui étonnera les enfants américains en leur donnant à voir les remarquables capacités technologiques de l’industrie japonaise du jouet. »

Après de nombreux essais, la version finale du B-29 est sortie, devenant à l’époque le plus grand jouet à friction au monde.Vendu via Yonezawa Shokai dans les grands magasins Nihonbashi Mitsukoshi à Tokyo, il a disparu des rayons en quelques heures seulement, malgré le prix élevé de 500 yens. Sans aucun doute, le B-29 a été accueilli avec surprise et admiration par les acheteurs américains non seulement au Japon mais aussi au Salon du jouet de New-York l’année suivante. Pari gagné pour l’audacieux Eiichiro Tomiyama.

Jusqu’alors, la plupart des jouets exportés du Japon coûtaient entre 50 cents et un dollar, mais malgré le prix du B-29 de cinq dollars, la demande dépassait la capacité de production de Tomiyama. Mais cet avenir prometteur fut assombri par un incendie qui détruisit complétement l’unité de production. Par miracle, les moules du B-29 furent sauvés par les employés de l’entreprise. Tomiyama réalisa l’exploit de construire une nouvelle usine, plus grande, en un peu plus d’un mois, et relança sans délai la production en série du B-29. L’avion devait rester un best-seller pendant plusieurs années encore.

Yonezawa, Boeing B-50 Superfortress USAF (version ultérieure du B-29), en tôle lithographiée, mécanisme de friction, 1951, L. 39 cm (Miller & Miller Auctions).

Qui a vu voler le B-29 Tomiyama ?

Illustration sur la boîte du B-50 commercialisé par Yonezawa.

Diego M. Lascano précise :
Bien que je n’ai jamais trouvé d’images ni vu d’exemplaire du bombardier B-29 de Tomiyama, j’ai fait référence au propre témoignage de E. Tomiyama sur ce jouet, qui apparaît dans le chapitre 3 du livre d’histoire de son entreprise (à consulter ici). Il est très probable que si le bombardier jouet B-29 n’existait pas avec cette nomenclature précise, ce n’était que le nom “populaire” ou générique sous lequel Tomiyama a conçu son projet et l’a ensuite partagé avec Yonezawa, qui, a de fait, fabriqué et commercialisé avec succès la version “B-50 Superfortress”.

Les 70 m d’envergure du vrai Convair B-36D réduits à 48 cm par Tomiyama ! (©photo et coll. Bernard Gloux).

Fin de l’apogée des jouets militaires japonais

En 1952, alors que la guerre de Corée (1950-1953) bat son plein, divers fabricants de jouets japonais présentent des miniatures de chars, d’avions à réaction, de navires de guerre et de sous-marins, toujours issus des forces armées américaines. En contrepartie, les associations de protection de l’enfance et les syndicats d’enseignants ont commencèrent à se mobiliser pour bannir ce type de jouets. Au-delà du désaccord de nombreux adultes sur la poursuite de la promotion du militarisme, même si celui-ci s’exprimait dans les produits d’exportation, d’autres thèmes suscitaient l’intérêt des fabricants de jouets pour se diversifier sur les marchés intérieurs et internationaux.

Nomura, char de combat Type 61 de la Force terrestre d’autodéfense japonaise, battery-toy en tôle lithographiée, jouet pour le marché intérieur japonais, vers 1960, L. 21 cm.

La science-fiction a apporté sa contribution à travers la littérature, le cinéma et la télévision, gagnant des adeptes parmi les plus jeunes, qui s’enthousiasmèrent pour les vaisseaux spatiaux et autres robots. Les automobiles et les véhicules de transport s’imposèrent aussi dans les goûts des enfants, en particulier ceux équipés de mécanismes électriques et de télécommande.
Peu à peu, les jouets militaires japonais furent délaissés, sans pour toutefois disparaître complètement des coffres à jouets des enfants du monde entier.

Biblio

Collectibles of Occupied Japan, par Judie Ludwig Sieloff, Wallace-Homestead Book Co., Des Moines, 1978 (en anglais).

Forbes Collection : Toy Boats-A Century of Treasures from Sailboats to Submarines, par Richard Scholl, Courage Books, Philadelphia, 2004 (en anglais).

Paths to the Emerging State in Asia and Africa, par Keijiro Otsuka et Kaoru Sugihara, Editions Spinger Singapore, 2009 (en anglais). Téléchargement libre ici.

Pure Invention : How Japan Made the Modern World, par Matt Alt, Constable, London, 2021 (en anglais).

Web

Journey : Making Dreams into Reality, l’histoire de Eiichiro Tomiyama, (en anglais).
Mes Avions-Jouets 1910-1960, Collection Patrick Despature.

Diego M. Lascano
Auteur et collectionneur