Prestigieux modèle de la maison Bru
La maison Bru a été créée en 1867 par Léon Casimir Bru. Dans son histoire il est possible de distinguer cinq périodes :
— Première période : 1867-1877
C’est l’époque de la société Bru Jne & Cie. Son adresse est 374, rue Saint-Denis. Elle s’affirme comme une grande fabrique de poupées de peau rose et blanche, droites et articulées, criantes et parlantes. C’est le temps où les poupées ont un corps de femme adulte, à la taille marquée.
— Deuxième période : 1877-1883
La fabrique appartient exclusivement à la famille Bru. Le directeur en est Léon Casimir Bru. Désormais son siège est aux numéros 1-3 boulevard de Strasbourg. Inspiré des poupées apparues au Japon en 1853, Bru crée un nouveau genre de poupée. Le corps n’est plus marqué à la taille, sa hauteur fait 5 têtes au lieu de 7, correspondant au corps d’un enfant de 3 à 5 ans. Ce sont des « Bébés » et non des poupées. (Voir Bébé ou poupée).
— Troisième période : 1883-1889
L’entreprise est achetée par Henri Chevrot. C’est l’âge d’or du Bébé Bru. Désormais le bébé Chevrot prend le nom de “Bru Jeune”, pour honorer le fondateur de la firme. Il fait évoluer le corps des bébés, devenus incassables en bois évidé. Les jambes, en bois ou en porcelaine, d’une forme très élégante, sont désormais articulées aux genoux.
— Quatrième période : 1889-1896
C’est Paul-Eugène Girard qui est aux commandes de la maison Bru et se présente comme un successeur de Bru jeune.
Il dépose en 1891 la marque Bébé Bru : « Le plus solide, le plus gracieux et le plus élégamment habillé de tous les Bébés parisiens ». Dans sa publicité il s’honore d’avoir eu 8 médailles d’or gagnées par son prédécesseur entre 1885 et 1888. Il est installé 1 et 3 boulevard de Strasbourg à Paris.
— Cinquième période : 1897-1899
Le fils de Paul-Eugène, Eugène-Frédéric Girard, dirige l’entreprise jusqu’à sa fusion avec les principales fabriques de poupées françaises au sein de la S.F.B.J, dont celle de Frédéric Remignard (Voir Le Petit Chérubin).
Le Bébé téteur, une innovation Bru
Le bébé que nous présentons est un bébé téteur. Dans le brevet du 3 octobre 1879, Casimir Bru jeune écrit : « Pour que ce bébé puisse téter : « il m’a fallu donner aux têtes…des dispositions spéciales qui permettent d’y loger mon appareil et de passer le tuyau du biberon par une ouverture ménagée entre les lèvres […] La poire est remplie à volonté d’un liquide quelconque…La tête de mon bébé porte une ouverture entre les lèvres… une autre ouverture est ménagée à la partie postérieure de la tête qui permettra de presser à volonté avec le doigt sur la poire en caoutchouc ». Initialement la pression sur la poire se faisait par un bouton en ivoire. Dans l’additif du 21 février 1882, ce dernier sera remplacé par une vis à ailette placée sur la nuque comme le montrent ces illustrations.
Il m’est difficile de le dater avec certitude dans la mesure où la fabrication de ces bébés a continué, sous la marque SFBJ, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Il semble que notre bébé est contemporain de la période Chevrot ou Girard, donc de la fin du XIXe siècle.
Un bébé soigné dans les moindres détails
La tête ravissante et pivotante est en biscuit délicatement teinté avec une perruque en cheveux châtains naturels. La nuque est marquée en creux BRU. J.NE 4 23. Les yeux bleus étonnés sont dormeurs avec des cils finement peints en noir et des sourcils marrons. La bouche avec des lèvres rouges ourlées est ouverte, le menton a une discrète fossette. Ce bébé a toujours sa tétine pendue à son cou par un fin cordonnet.
Le corps et les membres sont en bois peints sans le moindre éclat. Ces derniers sont articulés aux épaules, coudes, poignets, hanches et genoux. Ce bébé est vêtu d’une chemise blanche en coton avec un plastron brodé et d’un pantalon en coton. Les chaussures en cuir fin de couleur crème sont décorées d’un nœud avec de fins lacets. La semelle est en basane marron. Il porte des demi-bas et un bonnet en forme de capuche, bordé d’un galon fantaisie plissé et noué sous le menton. Le tout est en parfait état d’origine, sauf le mécanisme téteur qui n’est plus fonctionnel, le caoutchouc de la poire ayant durci du fait de l’ancienneté, ce qui est le cas de tous ces bébés.
Une heureuse transmission
Ce Bébé a été acheté, il y a une quarantaine d’année, à une très vieille dame, descendante d’une illustre famille, qu’une amie m’avait présentée. Sans enfant, elle ne voulait pas à la fin de sa vie que ce bébé, avec lequel elle avait joué enfant, qui lui venait de famille et qu’elle avait conservé avec beaucoup de soin, tombe entre des mains négligentes. Sachant que je collectionnais les jouets elle m’avait proposé de me vendre ce bébé ainsi que le service en Gien à décor de cirque (Voir Les dinettes). Cela explique l’excellent état dans lequel je l’ai trouvé. Par ailleurs, du fait de la valeur qu’ont toujours eu ces bébés Bru, les copies ou les faux sont courants, l’origine de notre Bébé téteur garantit son authenticité.
Estimation : Du fait de cette authenticité, de sa préservation et de sa taille on peut évaluer ce bébé téteur entre 1500 et 2500 €, sachant qu’un exemplaire taille 8 (48 cm) s’est vendu récemment 4300 € et qu’un autre, taille 6, s’est vendu aux USA 12500 $.
Biblio
Les Poupées françaises par Robert Capia, Editions Artaud, 1994.
The Bru Book, par François Theimer et Florence Thierault, nouvelle édition Gold Horse Publishing, 2001 (en anglais).
Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens