Un bébé incassable
Le Petit Chérubin est une poupée que l’on voit passer très rarement en salle des ventes. Cette poupée a été créée par Frédéric Remignard. Ce dernier était actif à Paris depuis 1884. Sa publicité signale qu’il est spécialiste en trousseaux de poupées, fabricant de bébés incassables nus et habillés, dormeurs et mignonnettes en tous genres. Il exerçait son activité 21, rue Chapon à Paris, tout près du Marais.
La S.F.B.J., le mariage de raison
Frédéric Remignard serait totalement inconnu s’il n’avait été l’un des fondateurs de la S.F.B.J. C’est ce qui a motivé mon achat en salle des ventes dans les années 1980.
Rappelons que la Société française de fabrication de bébés et jouets (S.F.B.J.) a été constituée le 14 mars 1899. La société avait pour objet “la fabrication de bébés et jouets et éventuellement de tous articles quelconques”. Les initiateurs en étaient MM. Fleischmann et Bloedel, originaires de Fürth en Bavière, actifs à Paris avec l’Éden bébé depuis 1893. Les autres actionnaires fondateurs étaient, entre autres, M. et Mme Jumeau pour le Bébé Jumeau, M. Paul Girard des poupées Bru, la Société Pintel et Godchaux connue pour le Bébé charmant… et M. Frédéric Remignard, créateur du Petit Chérubin. Tous les associés déclaraient céder à la S.F.B.J. leur marque de fabrique et tous brevets et dépôts de modèles qui pouvaient en dépendre ainsi que le matériel, machines et outils, servant à la fabrication des bébés et des jouets. Fleischmann et Bloedel étaient les actionnaires majoritaires, suivis par le couple Jumeau. La participation de Remignard apparaît comme beaucoup plus modeste.
Poupées d’assemblage et trousseaux Remignard
Frédéric Remignard avait déposé le nom “Le Petit Chérubin” en 1888. Cette marque de commerce, ainsi que ses initiales FR, deviennent alors la pierre angulaire de son entreprise.
C’était un spécialiste de la vente au détail réalisant sont plus gros chiffre d’affaires avec les deux principaux magasins de nouveautés de Paris, Le Bon Marché et les Grands Magasins du Louvre. Sa boutique était dédiée aux poupées et aux trousseaux. Chaque élément de sa poupée, Le Petit Chérubin, était de première qualité, l’accent étant mis sur l’excellence de la confection des vêtements, car Frédéric Remignard ne produisait pas de têtes lui-même. Il les commandait aux meilleurs, Steiner et Jumeau entre autres… Pour s’offrir ces têtes, Remignard devait avoir une très bonne réputation. De plus, maintenir l’entreprise pendant 18 ans n’avait pas été une mince affaire dans un marché aussi encombré et concurrentiel en cette fin de siècle. C’est la preuve d’une certaine renommée.
La boîte très rare
Comme la tête de cette poupée n’était pas fabriquée par Frédéric Remignard, elle n’était pas marquée et l’identifier avec certitude est quasi impossible sauf par l’étiquette de la boîte quand celle-ci a perduré. On ne peut que se demander combien de bébés originaux non marqués dans les collections d’aujourd’hui ont pu provenir de sa boutique. Perdre la boîte, c’était à coup sûr la perte de leur identité, ce qui en augmentait leur rareté. En effet, pour assurer la meilleure présentation de ses bébés couture, Remignard proposait ses propres boîtes de poupées avec son nom sur l’étiquette. C’est ce qui nous a permis d’identifier avec certitude notre poupée. La boîte, où se trouvait bien enveloppé notre exemplaire, est en papier cartonné de qualité, de couleur vieux rose avec une bordure gris bleu typique des années 1880. Elle est quasi intacte.
Une étiquette avec le nom “Le Petit Chérubin” accompagné de la mention “Bébé incassable”, “Fabrication parisienne”, d’une représentation un peu maladroite d’une poupée à genoux et du logo FR de la marque de fabrique déposée, est collée sur un des petits côtés de cette boîte. Un numéro, 7782, est écrit au crayon (numéro de fabrication ?) avec une pastille bleue collée (information pour le détaillant de la couleur de la robe).
Une tenue très soignée
Notre poupée mesure 40 cm. Elle est en parfait état, à croire qu’elle n’est jamais sortie de sa boîte.
La tête est en biscuit d’excellente qualité avec des yeux bleus fixes en verre soufflé, dits en sulfure, une bouche ouverte découvrant trois dents, une fossette au menton, une perruque bouclée blonde en mohair coiffée d’un chapeau capeline à large bord en paille tressée, orné de rubans et de deux plumes teintes en bleu. Les membres en composition sont articulés aux épaules et aux hanches. Les doigts des mains sont délicatement séparés du pouce. La robe bleue pale, plissée et coupée à mi-mollet, est ornée d’un grand plastron jabot en soie de couleur blanche bordé d’une large dentelle avec collerette ras-du-cou et tenue par une ceinture taille basse en soie de couleur bleue. Les manches, qui laissent à découvert l’extrémité des avant-bras sont légèrement bouffantes. Le thorax semble bourré de paille. Cette poupée porte des mi-bas à maille large et est chaussée de cuir fin, de couleur blanche avec un ornement en forme de marguerite. Les dessous sont constitués d’une culotte en coton et d’un jupon orné de dentelle. L’ensemble est de facture soignée et en très bon état.
Estimation : Compte tenu de sa rareté, il est difficile d’avancer une évaluation, d’autant qu’il faut prendre en compte qu’il ne s’agit pas d’une marque célèbre comme Jumeau, Bru ou Steiner. Cependant, du fait de sa qualité, de son état de conservation, de son identité certaine grâce à sa boîte, on peut évaluer son prix entre 350 et 400 €.
Collectionneur de jouets anciens