Apprendre en un éclair

L’Electro-Tutor est un jeu “instructif et perfectionné” dont le brevet à été déposé par Jacob Karlinsky, résident britannique et néanmoins francophile, en février 1928 en Angleterre et en juin de la même année en France. L’invention porte sur “un appareil ou jeu instructif (qui) a pour objet l’exécution d’un dispositif au moyen duquel une ou plusieurs questions peuvent être posées et recevoir une réponse en fermant un circuit électrique”. Une pile, deux fiches, des contacts, une ampoule ou un système sonore et des planches cartonnées illustrées constituent la base des coffrets.
La géo d’abord
La vocation première du jeu est l’apprentissage ludique de la géographie, mais le procédé sera rapidement extrapolé pour diverses matières et plusieurs séries. En 1929, la publication de ce jeu est tout d’abord confiée à l’éditeur géographe Joseph Forest, maison spécialisée dans l’édition de cartes et plans. Particulièrement réputé pour ses mappemondes et globes terrestres, Forest est le fournisseur de tableaux et cartes murales pour l’enseignement depuis 1886. Quant à l’impression des planches du jeu, elle sera assurée par L. Weyl, lithographe célèbre pour ses affiches de spectacles de la Belle Époque.

André Citroën à la pointe
Stimulé par un sens affûté de la publicité et de la communication, tant à destination de sa clientèle adulte qu’à celle des plus jeunes et futurs automobilistes, André Citroën manifesta immédiatement son intérêt pour ce nouveau jeu pédagogique. D’autant que c’est justement en 1928, que le Quai de Javel dévoile la C6, le haut de gamme de sa production. A l’occasion de ce lancement, les Jouets Citroën en collaboration avec les Jouets Migault miniaturisent la voiture au 1/10e à l’intention des concessionnaires de la marque (Lire Une C6 bien à l’abri). Un modèle réduit magnifique et remarquablement réalisé.


Toutefois l’opération promotion ne s’arrête pas là. Et André Citroën ne se contentera pas d’acquérir le brevet Chrysler du moteur flottant dont il équipera désormais ces véhicules…, il achètera aussi le droit d’exploitation de l’Electro-Tutor que les Jouets Citroën commercialiseront sous le nom de L’Auto-électrographe.

L’Electro-Tutor, rebaptisé Auto-électrographe par les Jouets Citroën (comment résister à Citroën !) sera un support privilégié et particulièrement adapté pour faire connaissance en détails avec la nouvelle berline. Les ingénieurs automobiles en herbe pourront ainsi localiser tous les organes et les pièces mécaniques de la C6 en pointant l’une des fiches sur l’un des contacts électriques dans la nomenclature et l’autre sur le plot correspondant sur la planche illustrée. Si l’ampoule placée en haut du coffret s’allume, la réponse est exacte.
Mapajo, l’éditeur inspiré
En 1930, l’imprimeur A. Martin, dont l’atelier est situé au 15 rue des Grands-Augustins à Paris, reprend le brevet de l’Electro-Tutor et fonde la société Mapajo, acronyme de Martin-Paris-Jouets. A l’instar de Citroën, le jeu portera les couleurs de plusieurs marques de constructions mécaniques telles Peugeot 402, Amiot 351, Hudson 232… Cette série, destinée aux jeunes garçons, sera commercialisée sous le nom d’Electro-Ingénior.







Le succès d’après-guerre
Mais c’est après-guerre, avec la série N° 1 “Géographie”, que l’Electro-Tutor, ce jeu “interactif” avant l’heure, connaîtra le succès et la grande diffusion.


Dans les années 1950, cinq séries de planches seront commercialisées via le réseau des Grands magasins, chez les marchands de jouets et les librairies : N° 1, géographie, N° 2, histoire de France, N° 3 : sciences naturelles, N° 4 : tables de multiplication, N° 5 : mécanique et signalisation routière. Au fur et à mesure de leur parution, on pouvait acheter les cartes complémentaires au détail.





Dans les catalogues
Le procédé du jeu des questions-réponses électrifié a été exploité dès les années 1920. Toutefois, c’est l’Electro-Tutor qui s’imposa durablement et ouvrit la voie à la production de nombreux autres jeux basés sur le même dispositif.



Estimation : Les planches d’avant-guerre sont rares et difficiles à trouver en bon état, compter une centaine d’euros. Les exemplaires des années 1950 et 1960 se trouvent entre 30 et 50 €.
Martine Hermann
(© Photos Giuseppe Scarani et collection privée)
