Les bébés caractères

C’est vers 1880, qu’inspiré par des poupées apparues au Japon en 1853, Bru crée un nouveau genre de poupée. Le corps n’est plus marqué à la taille comme pour les poupées fabriquées jusque-là, sa hauteur fait 5 têtes au lieu de 7, c’est le corps d’un enfant de 3 à 5 ans. On l’appellera « Bébé ». Celui-ci est la représentation idéale d’un bébé sage, son joli visage joufflu esquissant un sourire. À la fin du siècle, de manière à renouveler le genre, on créa des poupées et des bébés arborant des expressions réalistes : espiègle, triste, boudeur, crieur, etc. Ces bébés à visage expressif furent d’abord commercialisés par la Sté Jumeau et Cie mais n’eurent un succès commercial qu’au temps de la S.F.B.J., aux alentours de 1909. C’est ce qu’on appela des « Bébés caractères ».
L’Allemagne se lança également dans cette fabrication. Deux entreprises vont se distinguer : Simon et Halbig et Kämmer et Reinhardt.

La maison Simon & Halbig

Elle a été fondée en 1839 mais l’entreprise n’a commencé à fabriquer des poupées qu’à partir de 1869 dans deux usines de porcelaine à Gräfenhain et à Hidburghausen, près d’Ohrdruf en Thuringe. Simon & Halbig est connu pour ses têtes de poupées en biscuit et son innovation dans l’industrie de la poupée. Par exemple, ce fabricant est le premier à utiliser des cils naturels ou à créer des têtes à bouche ouverte. Sa renommée est telle et la qualité de ses produits si remarquable que la fabrique fournit des têtes de poupées à de nombreux autres fabricants ou assembleurs de poupées bien connus aussi bien en France qu’en Allemagne. Ainsi, le succès de la collaboration de Simon & Halbig avec Kämmer & Reinhardt sera tel que les deux entreprises fusionneront en 1920.

La maison Kämmer & Reinhardt

Fondée en 1886, avait son siège à Waltershausen en Thuringe. Elle fut la première à déposer l’appellation « Bébé de caractère ». K & R ne fabriquaient que des corps de poupées qu’ils complétaient avec des têtes réalisées par des fabriques de porcelaine allemandes. Son logo K. & R. s’accompagnait d’une étoile à six branches comme le montre cet en-tête de lettre.

En-tête de lettre Kämmer & Reinhardt.

De 1886 à 1909, K & R commercialisera uniquement des poupées à tête en biscuit sur un corps en composition ou un corps en chevreau, la plupart avec une bouche ouverte et des dents apparentes. Après 1909, la production se diversifia et ils fabriquèrent de nombreux types de poupées, comme le révèle aussi ce même en-tête : poupées et bébés articulées, tête en biscuit ou en celluloïd, poupées et bébés marchant, vêtement de poupées. Les corps de poupées en biscuit K & R étaient conçus par l’entreprise, mais la plupart des têtes des bébés de caractère lui furent fournies par Simon & Halbig et la rumeur prétend qu’elles eurent pour modèles les petits-enfants des deux fondateurs de l’entreprise. C’est pourquoi ces têtes portent les deux marques. Ce dont témoigne la nuque de notre bébé.
Ils ont également acheté des têtes fabriquées par Kling et par Schuetzmeister & Quendt. En 1902, K & R achète la société de poupées Heinrich Handwerck et, vers 1920, la société Simon & Halbig tombe dans l’escarcelle de K & R. La maison Kämmer & Reinhardt était toujours active en 1937, ce dont témoigne la facture ci-dessous. L’entreprise disparaitra en 1943.

Le marquage pour l’identification

La nuque de ces bébés était marquée sur son bord inférieur par des chiffres allant de 50 à 99, correspondant à la taille en centimètres ou/et des numéros de moule allant de 100 à 977. Ce numéro fut utilisé pour la première fois en 1895. À partir de 1909, le numéro de moule se situera juste en dessous de l’étoile. Le premier modèle de bébé caractère est le moule N° 100 fabriqué par Simon & Halbig pour K & R.

Marquage en creux K & R, Simon & Halbig, N° du moule.

Dans le cas de notre bébé caractère on relève sur la nuque les inscriptions gravée K & R avec l’étoile à 6 branches, au-dessous Simon & Halbig et au-dessous le numéro 126 qui correspond à la série, celle-ci permettant de préciser la date de fabrication : 1914.

Comme un vrai bébé

Le visage de ce bébé est expressif et gracieux, la bouche est légèrement entrouverte laissant apparaitre deux dents, la langue est mobile, les yeux de couleur marron sont dormeurs et riboulants, c’est-à-dire allant à droite et à gauche, donnant ainsi au bébé une expression espiègle, il est joufflu avec un léger double menton, les cils et les sourcils sont finement peints, la perruque d’origine est en cheveux naturels.

Un bébé espiègle et enjoué.

Cette perruque, une fois enlevée, on découvre toute la complexité du mécanisme pour permettre aux yeux d’être dormeurs et riboulant et à la langue d’être mobile. La tête est pivotante. L’examen du dos met en évidence une découpe rectangulaire de 3 cm x 2 cm, fermée par un grillage, qui correspond à une boîte à son qui ne fonctionne plus, la membrane vibrante ayant durci avec le temps. Ces mécanismes portent des noms divers comme : boîte à cris, voix à contre poids, voix « maman« , système pleureur, etc.

Un mécanisme complexe dans la tête pour la mobilité des yeux et une boîte à son dans le corps.

Le corps est en bois évidé. Les membres sont articulés aux épaules, aux coudes, aux poignets, aux hanches et aux genoux. Il mesure 40 cm et pèse assez lourd.

Un bébé à tête de porcelaine et corps en bois, H. 40 cm.

Les vêtements sont d’origine, tout au moins la chemise à manches courtes bordées d’un galon de dentelle, s’ouvrant dans le dos et décorée sur le devant d’un plastron de dentelle ; comme dessous, elle porte une sorte de barboteuse en coton rose tenue par des bretelle qui ne semble pas d’époque. Les pieds sont protégés par des socquettes, il n’y a pas de chaussures. La tête est coiffée d’un bonnet en dentelle avec un ruban noué autour du cou.

Estimation : compter environ 350 €.

Biblio

Puppen Bestimmungsbuch, par Marianne Cieslik, Verlag 1989 (en allemand).

Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens