Les bonshommes Martin

Au temps des camelots

Le Pochard, l’une des figures des rues reproduite par Fernand Martin.

À la Belle Époque, il n’était pas rare de rencontrer au coin d’une rue ou sur une place de ville un camelot vendant des petits jouets. Ceux-ci étaient le plus souvent étalés à même le sol, comme on le voit sur des cartes postales anciennes.

Camelots et bonshommes Martin, animation et émanation de la vie parisienne en 1900.
Démonstration tout public ! (Collection CL).

Au moment de Noël, ces camelots installaient leur baraque ou leur étal sur les grands boulevards parisiens comme nous le montrent ces premières pages du Petit Parisien du 22 décembre 1889 et du 11 janvier 1902, ou cette couverture en couleur du numéro de Noël de l’Illustration de 1902 avec manifestement des jouets Martin.

Tous documents collection CL.

Fernand Martin à l’avant-garde du jouet pour tous

Ces jouets avaient d’autant plus de succès qu’ils étaient bon marché et surtout animés, ce qui en augmentait l’attrait. Séraphin-Fernand Martin, leur créateur, a été l’un des plus grands fabricants français de jouets mécaniques au tournant du siècle. C’est en 1880 que ce mécanicien de génie, industriel aux conceptions avant-gardistes, tayloriste avant l’heure, fonde son usine au 90 boulevard de Ménilmontant à Paris (20e), usine qui s’étendra rapidement au N° 88. Il a deux idées lumineuses : d’une part, fabriquer des petits automates bon marché, faits de fils de fer et de bout de tissu, animés d’un mécanisme d’horlogerie, et, d’autre part, représenter les gens de la rue ou les artisans au travail, une thématique alors inédite. Grâce à lui le jouet se démocratise, un “bonhomme Martin” se vendant à l’époque entre 1,45 F et 1,95  F, d’abord par l’intermédiaire des petits camelots, puis dans les grands magasins comme le Louvre ou le Printemps.

Fac-similé de l’Annuaire officiel des jouets et jeux de bazar de 1897.

Tout le petit peuple de Paris

Bientôt ces petits pantins seront connus dans le monde entier et vaudront à leur créateur plusieurs récompenses et la notoriété. La grande époque de cette production se situe entre 1895, depuis La Portière (N° 147) et 1912, date de la cession de l’entreprise avec Chaud les marrons (N°227), entreprise reprise d’abord par Georges Flersheim, puis, par Victor Bonnet en 1919. Elle fermera ses portes en 1960. Dans l’intervalle citons, parmi beaucoup d’autres, Le Gai violoniste (N° 160bis), Le Balayeur (N° 172), La Petite marchande d’orange (N° 184), L’Avocat (N° 202). Bref, tout un petit monde populaire et familier, source féconde d’inspiration pour Fernand Martin qui n’hésite pas à se saisir de l’actualité, comme la Guerre des Boers ou Le Vol de La Joconde (N° 225), en 1911.

Le Pochard, figure familière des rues

Le Pochard (N° 172bis) fait partie de ce petit monde que tout un chacun peut rencontrer dans la rue. Il mesure 20 cm de haut, il est vêtu d’une tunique de toile grossière et d’un pantalon rayé, et coiffé d’un haut-de-forme un peu cabossé. Il tient dans la main droite une bouteille avec une étiquette marquée “FM à Paris, VB & Cie succ. Made in France”. Il a été créé par Fernand Martin en 1899, mais l’exemplaire représenté ici date de la période Victor Bonnet.

Un jouet Martin dans une boîte FM période VB

Pourtant le couvercle de la boîte en carton jaune qui le contenait date bien de la période Martin, dont elle porte le logo, et rappelle les nombreuses médailles d’or et d’argent gagnées dans les Expositions, le dernier prix signalé étant un “Hors concours” en 1900. Elle est décorée d’un dessin représentant le petit automate, modèle déposé, et présente en plus le logo de la Chambre syndicale des fabricants de jouets et jeux français avec le numéro de l’entreprise Martin (138). Il est bien précisé qu’il s’agit d’un article français, ce que confirment encore la mention “Made in France” et le bandeau tricolore qui barre l’angle inférieur droit du couvercle. Il faut dire que nous sommes alors en pleine contestation de l’hégémonie allemande en matière d’industrie et de commerce. Le mode d’emploi est imprimé en français, anglais et espagnol.

Cet exemplaire du “Pochard” est en parfait état de fonctionnement et de conservation.

Des mécanismes précis et solides

Quand on remonte la clé solidaire en acier en forme de triangle qui se trouve sur le coté gauche de l’automate, notre pochard avance en titubant et, tremblant, tente en vain de se verser du vin dans son verre. Il est tout à fait remarquable qu’avec des moyens élémentaires et bon marché Fernand Martin soit arrivé à un résultat tout aussi séduisant que les automates Bontemps, Théroude ou Roullet-Decamps considérablement plus onéreux !

Estimation : Le Pochard est estimé entre 500 et 700 €, mais d’autres bonshommes Martin peuvent valoir jusqu’à 1500 ou 2000 €.

Claude Lamboley

Collectionneur de jouets anciens

Biblio

“L’Histoire des jouets Martin”, par Frédérique Marchand, Éditions L’Automobiliste, Paris 1987.