Les jouets dans l’art

Les enfants modèles et leurs jouets

Claude Renoir jouant par Auguste Renoir, vers 1905, Musée de l’Orangerie.

Alors que dans l’Antiquité, nombreuses sont les représentations artistiques de jouets, avec les invasions barbares du Ve siècle, toute référence à des jouets ou à des poupées disparaît. Pendant plus de cinq cents ans, c’est le silence total. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle qu’un premier écrit de Lambert d’Ardres ou un second, en 1451, du poète Antoine Astesan, font références à des poupées et que quelques images évoquent des jouets, comme cette fresque de l’église des Eremitani de Padoue peinte par Guariento di Arpo, en 1360. C’est une Allégorie des Planètes qui représente la Lune, devant son char, encadrée, à gauche par un garçon chevauchant un cheval-bâton qu’il stimule avec un fouet, et à droite, par une fillette qui berce sa poupée nichée dans un repli de sa robe, tout en tirant de la main droite un jouet à deux roues au bout d’une longue ficelle.

Allégorie de la Lune, église des Eremitani à Padoue (Italie).

L’enfance à la Renaissance

La Renaissance est un peu plus riche en représentations de jouets et de poupées. En témoignent par exemple, ce tableau de Lucas Cranach « La Charité » de la National Gallery ou le célèbre petit tableau de Brueghel l’Ancien, « Jeux d’enfants », au Kunsthistorisches Museum à Vienne sur lequel nous reviendrons.

Lucas Cranach, La Charité et Brueghel l’Ancien Jeux d’enfants (1560).

Ces quelques tableaux témoignent de la place croissante que tendent à prendre dans la société l’enfant et les jouets, ce que confirment les écrits de Rabelais. Surtout, et c’est évident avec les poupées, celles-ci sont, dans les milieux aristocratiques, des ambassadrices de la mode et le témoignage de l’opulence du donateur. Dans les cas de jouets princiers, leur richesse vestimentaire témoigne du statut des futures petites reines qui s’en amusent. Cependant, ces petites filles ont non seulement un physique d’adulte mais elles sont sérieuses et ne manifestent aucun signe d’affection pour leur jouet, comme on le voit dans ce portrait d’Isabelle d’Autriche de 1503 ou celui  d’Arabella Stuart datant de 1577.

Isabelle d’Autriche à l’âge de 2 ans et de Lady Arabella Stuart âgée de 23 mois.

Les jouets reconnus et représentés

Au cours des siècles suivants, la poupée et les jouets vont prendre une place grandissante dans les œuvres picturales. On retrouve de plus en plus, surtout au XIXe siècle, des portraits d’enfants, principalement d’enfants princiers, accompagnés de jouets, comme dans ce tableau du Kunsthistorisches Museum de Vienne représentant les enfants de Marie-Thérèse avec une petite princesse serrant une poupée dans ses bras, semblant lui témoigner ainsi un certain attachement.

Johann Zoffany (1733-1810), Les Petits-Enfants de Marie-Thérèse de Habsbourg-Lorraine.

Ce tableau de Jean-Louis Ducis, visible au Musée national des châteaux de Versailles et du Trianon, daté de 1810, montre Napoléon Ier à Saint-Cloud. L’attention que porte l’Empereur pour ses neveux et nièces qui l’entourent, dont le futur Napoléon III sur ses genoux, y est évidente. Il est entouré de jouets : brouette, poupée, soldats, canon… L’intention politique est patente, certes, (Napoléon à l’époque est en manque d’héritier) mais ce tableau témoigne aussi de la place toute nouvelle des enfants et des jouets dans la vie sociale et familiale. Naturellement les jeunes princes prennent la pose, mais le petit garçon, à droite, tout en regardant en souriant le peintre, manifeste son désir de jouer avec ses soldats de plomb qu’il manipule.

Jean-Louis Ducis, l’Empereur entouré de ses neveux sur la terrasse de St-Cloud (1810).

Pourtant, dès cette époque, certains peintres, surtout les Hollandais, si friands de représentations naturalistes, vont peindre des enfants jouant pour leur plaisir. Le meilleur exemple est le tableau « Les jeux d’enfants » de Brueghel l’Ancien daté de 1560, où les enfants jouent à de multiples jeux dont certains ont disparu, témoignant ainsi de la richesse de ces activités ludiques au XVIe siècle, mais révélant aussi que certains jeux étaient partagés par les garçons et les filles, ou même que des filles pouvaient jouer à des jeux de garçons tels qu’osselets, tambour ou flûte.

Un précieux témoignage de la vie de la cité au XVIe siècle.

C’est certainement dans les nombreux tableaux de genre montrant la présence de jouets et de poupées, que se révèle, même dans les milieux les plus modestes, le besoin qu’ont les enfants de jouer. En voici trois exemples de périodes différentes, un tableau de Van Ostade du XVIIe siècle et celui de Charles Gogin (1844-1931), peint en 1876. Dans les deux cas, la scène est naturelle, pleine de vie, l’enfant joue sans se préoccuper du peintre, voire en lui tournant le dos, comme dans le tableau de Van Ostade (à droite).

Gogin, Le Thé de la poupée (1876).
Van Ostade, Scène de genre.
Van Ostade, Scène de genre.

Bonnes familles et bonne éducation

La représentation picturale d’enfants et de jouets est à l’évidence un marqueur de la vision sociétale du moment. Pendant longtemps, jusqu’au début du XIXe siècle, la représentation d’enfants et de jouets dans les portraits est guindée, les enfants ont souvent, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, l’aspect d’adultes en réduction. Rien ne laisse croire que l’enfant prend plaisir à jouer, il s’agit plutôt d’une représentation symbolique, ou, si la représentation enfantine est vivante, le jouet n’est qu’un accessoire qui est là seulement pour souligner l’intérêt qu’on porte à l’enfant, héritier de la famille portraiturée. En voici un exemple, celui de la famille du colonel Paulsen par le peintre danois Albert Kuchler (1803-1886). Il y a bien un petit cheval à bascule, mais il est délaissé dans un coin, à l’arrière-plan. 

Portrait de famille par Albert Kuchler.

Jouets de filles et jouets de garçons

Surtout on insiste beaucoup, depuis les années 1990, sur la critique des jeux genrés. Il est vrai que la figuration des jouets dans la peinture est très liée au genre de l’enfant. Évidemment, le portrait d’une fillette ne se conçoit qu’avec une poupée et celui d’un garçon qu’avec un jouet typiquement masculin, voire viril : un tambour, des armes, des soldats de plomb, comme dans ce portrait du futur empereur Frantz Josef d’Autriche par Ferdinand-Georg Waldmüller (1793-1865).

Portrait de F. Josef d’Autriche par G. Waldmüller.

Ou encore cheval bâton comme dans ce portrait du XVIe siècle ou cheval à bascule dans ce portrait de famille d’époque XIXe du peintre John-Baptiste Reiter (1813-1890).

Portrait princier du XVIe siècle et portrait de famille par J.-B. Reiter.

Ou les jeux sportifs, comme le jeu de cerceau dans ce tableau de John Opie (1761-1807), ou jeu de volant de la même époque, car seuls les garçons font du sport.

Les jeux mixtes aussi

La critique est vraie, mais on oublie que sous l’Ancien régime, dans la société aristocratique, le jeune garçon était élevé par les femmes jusqu’à l’âge de 7 ans, puis par les hommes. Le petit garçon dans un vêtement unisexe jouait donc à la poupée et aux petits ménages dans sa tendre enfance, ce que nous apprend Héroard, le médecin du futur Louis XIII. L’historien Michel Manson a recensé les images de jouets dans le passé, il constate qu’avant 1500, on trouve seulement 6 jouets dans les mains des filles, 68 dans les mains des garçons, 4 images avec des enfants des deux sexes.
— Pour les filles : 5 poupées, 1 balle, 3 chariots.
— Pour les garçons les jouets sont beaucoup plus variés : cheval-bâton, toupies, cerceaux, hochets.

Au XVIe siècle le même historien relève la présence de filles avec jouets dans seulement 18 % des 177 images de cette époque. Au siècle suivant, Michel Manson recense 260 images, dont 27,3 % de filles et 38 images mixtes : 10 types de jouets pour les filles, 50 pour les garçons. L’écart est toujours présent mais diminue manifestement. Ainsi, au XVIIIe siècle, constate-t-on dans 182 images 40 % de filles, proportion qui passe à 51 % au XIXe siècle.
Non seulement, les garçons et filles partagent leurs jeux comme dans ce tableau d’André-Henri Dargelas ou celui de  Gustav Higler (1842-1908), mais aussi garçons et filles peuvent échanger leurs jouets.

Peinture sur toile d’André-Henri Dargelas (1828-1906) et de Gustav Higler (1842-1906).

C’est particulièrement évident quand on représente des enfants s’adonnant à des jeux de société comme dans ces tableaux du début du XIXe siècle.

Garçons et filles peuvent échanger leurs jouets, des petits garçons jouant avec des Polichinelles, en quelque sorte l’équivalent des poupées, comme dans ce portrait d’un jeune garçon par Francis-Hubert Drouais (1725-1775) ou des petites filles jouant avec des jeux de garçons comme le montre l’œuvre de l’Américain Thomas Eakins, qui peint sa nièce de deux ans et demi, entourée de jouets non genrés : chariot, cheval, cubes.

Portrait d’un jeune garçon par H. Drouais et ”Baby At Play” par T. Eakins.

Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens

Biblio

Jouets de toujours, par Michel Manson, Éditions Fayard, Paris 2001.