Les lanternes magiques

Pour le spectacle du soir

Les lanternes magiques sont les ancêtres des appareils de projection de diapositives. La tradition prétend que le principe en a été conçu par un moine anglais, Roger Bacon, au 13e siècle. On trouve aussi dans la première édition de “Ars magna lucis et umbrae”, publiée en 1646 par Athanase Kircher, une gravure représentant un appareil qu’on a pris longtemps pour une lanterne mais qui n’est en fait qu’un simple projecteur de lumière. En réalité, il est admis de nos jours que c’est le grand astrophysicien néerlandais Christian Huygens qui a réalisé le premier appareil de projection en 1659.

Dans les rues ou à domicile

La lanterne magique, sous forme d’une boîte en bois contenant une source de lumière, recouverte de papier, fut longtemps l’instrument que les montreurs transportait sur leur dos afin d’assurer des représentations publiques pour divertir badauds et enfants, ou se louaient pour distraire chez eux quelques riches particuliers. Il existe un rare exemplaire de ces lanternes ambulantes au musée de la Cinémathèque française.

Gravure extraite de L’Univers illustré de 1858 (coll. CL)

Une conception très simple

Cela devint une distraction familiale lorsqu’en 1843, le ferblantier, Auguste Lapierre, se mit à fabriquer industriellement ces lanternes magiques, des appareils très simples fait d’une boîte en fer blanc de forme très variée. À l’intérieur se trouve une source lumineuse, bougie, lampe à pétrole et, plus tard, une ampoule électrique, munie d’un déflecteur concave. Une cheminée permet l’évacuation de la chaleur dégagée. Entre la source de lumière et l’objectif muni de lentilles, on glisse des plaques de verre illustrées.

Auguste Lapierre, le vulgarisateur

D’origine normande, Auguste Lapierre s’installe comme ferblantier au 1 rue Saint-Paxent à Paris en 1848. Rival de Louis Aubert, Lapierre devient rapidement le premier fabricant de lanternes-jouets en France. Il déménage en 1866 au 21 rue Michel-le-Comte et propose toute une gamme de lanternes magiques, de même qu’un grand choix de plaques de verre. En 1875, Auguste prend sa retraite et laisse la place à son fils, Édouard Virgile. Sous sa direction (1875-1902), la firme prend une nouvelle ampleur et, dès 1884, absorbe la firme rivale d’Aubert, dont il occupe désormais les locaux au n° 25 de la rue Pastourelle. En 1895, Édouard décide de s’agrandir et transfère ses magasins au 38 quai de Jemmapes et installe une usine à vapeur au 21 rue Jeanne-d’Arc à Lagny (77).

Publicité du journal Photo-Revue du 15 décembre 1898 avec les diverses récompenses obtenues

En 1902, Édouard se retire et laisse la société à ses deux fils, Maurice et René, créant, le 17 avril 1902, la société “Lapierre frères et Cie”. Cependant, ils devront s’associer en juin 1908 avec le fabricant d’appareils photographiques, Jules Demaria pour fonder la Société anonyme des établissements Demaria-Lapierre. Mais les deux frères reprendront vite leur indépendance. René Lapierre créera une nouvelle société en 1921 et ouvrira un magasin au 68 rue des Haies à Paris et, durant les années 1950, continuera à produire des appareils, notamment des projecteurs de film 9,5 mm.

Facture des Ets Demaria-Lapierre de 1908

Deux modèles classiques Lapierre

Voici deux lanternes caractéristiques d’Édouard Lapierre : une lanterne “Salon” (1880) en tôle peinte à l’alcool et vernie et un lampascope “Boule” (1880), lanterne sans éclairage qui se posait sur une lampe à huile ou à pétrole à la façon d’un globe de cristal. L’usage en était facilité, les familles s’éclairant à la lampe à pétrole. Surtout celle-ci donnait une lumière beaucoup plus vive que les habituelles lanternes équipées de lampe de faible puissance.

D’autres entreprises françaises construisirent des lanternes : Mazo, sis au 18, bd Magenta, Radiguet et Massiot au 15, bd des Filles du Calvaire et La Bonne Presse au 5, rue Bayard.
Les entreprises allemandes construiront aussi des lanternes magiques telles, parmi les plus connues, celles de Georges Carette, Max Dannhorn, Johann Falk, Jean Schoenner ou Ernst Plank (E.P.).

Catalogue Ersnt Plank de 1903

Le géant Bing sur les rangs

Gebrüder Bing a été fondée en 1866 à Nuremberg par Ignaz et Adolf Bing. En 1908, elle s’autoproclame “la plus grande usine de jouets du monde” et peu avant le début de la guerre de 14, elle emploie 5000 personnes, effectif inhabituel pour l’époque. Le chiffre d’affaires annuel de 1928 —  plus de 27 millions de marks —  est également considérable. Ce succès ne repose pas uniquement sur les jouets d’optiques et les maquettes de bateaux, de trains et de voitures automobiles, les frères Bing, qui produisaient à l’origine des ustensiles en étain, fabriquaient aussi des articles ménagers. En 1927, Bing connut d’importantes difficultés financières. En 1932, l’entreprise est en liquidation, et les Bing, qui étaient juifs, s’expatrient en Angleterre lors de l’ascension d’Hitler. L’entreprise sera dissoute en 1933.

Catalogue Bing des années 1924-1930

Voici une lanterne magique de la maison Bing vernie noir à pieds de lion à cinq orteils. D’après le logo de la marque, on peut la dater de la période 1906-1912. Elle est complète avec son miroir concave et sa lampe à alcool. Elle est encore dans sa boîte d’emballage.

Belle et complète lanterne Bing, 21 x 8 x 27 cm

Les plaques de verre, des œuvres peintes

Ces lanternes servaient à projeter des images dessinées sur des plaques de verre. D’abord dessinées à la main à l’aide de calques et peintes à l’aide de pigments broyés mélangés à quelques gouttes d’essence de térébenthine, ces plaques furent ensuite imprimées mécaniquement sur les verres, encadrées et coloriées à la main. Les pigments utilisés étaient les bleus de Berlin, les carmins de cochenille, le vert végétal, la terre de Sienne et le noir. C’est à partir de 1902, que l’on utilisa pour plus de facilité la décalcomanie. Ces plaques de verre étaient bordées de papier vert par Lapierre ou de papier rose ou orangé pour les plaques allemandes.

En général de forme allongée, elles sont parfois rondes comme cette plaque de la maison Jean Shoenner (J.S.).

La simulation du mouvement

Avec l’industrialisation, les fabricants imaginèrent des systèmes permettant de simuler le mouvement. Les plaques de verre étaient alors enchâssées dans des cadres en bois. Le plus simple était un défilé devant un paysage grâce au glissement d’une plaque sur une autre, comme ci-dessous le défilé de véhicules hippomobiles sur une place devant un monument.

Le système de glissement donne l’illusion du mouvement.
Le même système permet au savetier Crispin de marteler une chaussure en cadence.

D’autres modèles étaient actionnés par des languettes en métal, cachant alternativement une séquence puis une autre, comme ci-dessous, le cuisinier tombant dans son chaudron.

La vue postérieure de la plaque dévoile le mécanisme.

D’autres systèmes enfin faisaient appel à un engrenage mû par une manivelle avec un effet kaléidoscopique appelé chromatrope.

L’image animée grâce à la manivelle du chromatrope.

Les sujets représentés étaient innombrables et détaillés dans des catalogues : contes de fées, sujets documentaires, sujets éducatifs, histoires comiques…, bref tout pour se distraire et s’instruire.

Biblio

Ernst Hrabalek, “Laterna magica. Zauberwelt und Faszination des Optisches Spielzeugs” de Ernst Hrabalek , Munich, Keiser, 1985 (en allemand).

Claude Lamboley

Collectionneur de jouets anciens