Pour de grands effets lumineux
Ce drôle d’objet est un appareil d’optique qui fait partie des nombreuses inventions découlant des recherches du 19e siècle sur l’image animée à l’origine du cinéma et que nous avons décrites dans des notices précédentes. Certaines sources accordent la paternité de cet objet à un opticien parisien, Antoine-Louis Lemaire, d’autres désignent un dessinateur parisien, Auguste-Louis Régnier qui a, en effet, déposé, le 15 décembre 1848, un brevet pour une méthode pour obtenir des images “dioramiques”, c’est-à-dire avec des effets de jour et nuit, de clairs de lune, de changements d’images avec fondu enchainé, transpositions des fééries du Diorama de Daguerre. Surtout c’est un fabricant de jouets, Pierre-Henri Armand, qui, avec son brevet déposé le 21 février 1849, a simplifié et rendu panoptique l’invention de Régnier, avec une vision à 180°. En 1858, on y adjoindra un soufflet permettant l’amélioration de la vision par une meilleure mise au point. Cet appareil se voulait être l’adaptation à l’échelle réduite d’un spectacle conçu par Louis Daguerre qui l’avait installé Place du Château d’eau à Paris, en 1822, comme le montre vue d’optique ci-dessous.
Jeux de lumière
Le spectacle nécessitait l’utilisation d’une toile verticale transparente sur les deux faces de laquelle étaient peints deux tableaux, représentations d’un même sujet dans des circonstances différentes. Le premier sujet était éclairé par la réflexion d’une toile mobile située au-dessus de lui. Le second était éclairé directement, par l’arrière, grâce à une fenêtre dont les volets pouvaient être ouverts ou fermés. Pour voir le sujet antérieur, on fermait ces volets et on réfléchissait obliquement, d’en haut, la lumière de l’écran supérieur. Quand on voulait substituer le sujet postérieur, vu par transparence, on baissait insensiblement cet écran, pendant que l’on ouvrait, en même temps et progressivement, les volets de derrière. Ces spectacles eurent un succès considérable.
La science optique au service du jouet
Les polyoramas jouets et leurs vues transparentes étaient vendus à la sortie des spectacles de dioramas dont ils constituaient le prolongement miniaturisé du procédé. Le principe de ces jouets était, en effet, le même que pour le diorama. L’appareil ressemble à une chambre noire, sauf que, si dans cette dernière la scène qui est observée est à l’extérieur, ici, l’image qui est examinée, est à l’intérieur de la boîte. Elle est vue à l’aide d’une lentille placée sur la face antérieure d’une planchette en acajou reliée à la boîte par un soufflet en papier ou en tissu qui permet en le déployant plus ou moins de mettre au point l’image. Celle-ci est glissée par une fente dans la boîte et éclairée, soit par-dessus, soit par l’arrière, par des volets basculants et solidaires, ainsi quand l’un s’ouvre l’autre se ferme-t-il, ce basculement créant un fondu enchaîné des plus heureux.
Un merveilleux fondu enchaîné
Ces jouets existaient dans trois tailles différentes : le grand modèle (36 x 20 x 50 cm), le modèle moyen (22 x 16 x 18 cm) et le petit modèle (16 x 12 x 12,5 cm). Ce dernier est le modèle présenté dans cette notice. Il s’agit d’un boîtier portable, cubique avec corps en bois tapissé de papier gaufré vert bordé d’un galon vieil or. Un soufflet en papier est monté sur la face antérieure en acajou munie d’une lunette centrale que l’on peut rapprocher ou éloigner grâce un petit bouton en bois, ce qui permet la mise au point de l’image. Une tirette coulissante sous l’appareil permet de guider le mouvement du soufflet et, grâce à une petite charnière, le verrouille quand on n’utilise pas l’appareil. L’éclairage se fait par deux volets, l’un, placé sur le dessus de la boîte, éclaire le sujet de front, l’autre, par derrière, permet l’éclairage à contre-jour. Les deux volets sont reliés par une tringle. Quand un volet s’ouvre, l’autre se ferme réalisant un fameux effet de fondu-enchaîné. Sur la partie supérieure de l’appareil est collée une étiquette marquée : “Polyorama-Panoptique – Brevet d’invention SGDG”. L’intérieur est tapissé de papier noir, sauf le volet supérieur décoré de papier doré pour améliorer l’éclairage. Une rainure permet de glisser à l’intérieur l’image à examiner. Au dos de l’appareil est collée un étiquette qui précise : “Mettre le crochet en cuivre dans le trou pratiqué dans l’épaisseur du volet”. L’emplacement du trou est indiqué par le pictogramme d’une main. L’appareil est en très bon état.
Extérieur nuit
Chaque tableau vu par le Polyorama est composé de deux images collées l’une contre l’autre, ainsi le contre-jour fait apparaître une image différente de celle qui reçoit la lumière de front. Ces vues lithographiées et coloriées sont tirées sur un papier fin, translucide, monté sur châssis en bois. Inventées par Louis-Stanislas Gadault, elles sont pour la plupart conçues pour inclure de petites pièces découpées à travers lesquelles la lumière passe. D’autres parties de ces cartes peuvent être faites d’un matériau plus mince pour créer un effet lumineux. Les parties vides représentent généralement des fenêtres ou des lampadaires, de sorte que la scène semble être éclairée par la lumière de ces sources donnant de magnifique scènes de nuit, comme ici avec cette vue de l’église Saint-Sulpice de Paris.
Certaines de ces vues, lithographiées, délicatement coloriées, perforées et renforcées au dos de petits papiers translucides, éclairées par l’arrière se révèlent parfois non plus comme une image de nuit mais comme un tout autre sujet, produisant parfois des résultats quasi surréalistes très surprenants.
Un polyorama insolite
Nous possédons un autre polyorama très curieux, acheté en Sicile, et dont je n’ai vu nulle part l’équivalent. Il ressemble à la lorgnette pittoresque fabriquée par Lefort à Paris, mais, ici, il s’agit d’un cylindre monté sur un pied en bois tourné et verni noir. Il est recouvert d’un papier marron à motifs imprimés.
À l’une de ses extrémités, se trouve une lentille, à l’autre un volet basculant. Sur le dos du cylindre, deux petits volets avec des petits boutons pour les saisir permettent d’éclairer par l’arrière une image que l’on glisse par une fente derrière le volet antérieur. Cela crée une vision jour et nuit, sans cependant de fondu enchaîné, du fait d’une absence de liaison entre les divers volets. L’appareil était accompagné de trois vues rondes jour et nuit, de 8,5 cm de diamètre, montrant l’avenue des Champs-Élysées, un intérieur d’église et un paysage champêtre.
Les boîtes d’optique
Ces polyoramas ont été précédés, à la fin du 18e siècle, de boîtes d’optique semblables à celles qui figurent dans la gravure de l’ouvrage de l’abbé Nollet qui illustre ma notice sur les dioramas d’Engelbrecht. C’étaient des boîtes parallélépipédiques en bois avec à une extrémité un trou éventuellement garni d’une lentille, à l’autre un volet ouvrant, derrière lequel on glissait la gravure et au-dessus un autre volet. L’image pouvait donc être éclairée par devant (vision de jour) ou par derrière en transparence (vision de nuit). On y examinait des vues d’optique jour et nuit appelées aussi “vues perspectives”. Il s’agissait d’une estampe gravée sur cuivre, collée sur un carton fort, coloriée à la main, et perforée, certains trous étant comblés par des petits papiers transparents et colorés. En voici deux exemples :
Protean Views pour la Grande-Bretagne
Enfin, il ne faut pas oublier les Protean Views, lithographies transparentes de belle qualité, délicatement rehaussées à l’aquarelle, version de salon du diorama de Daguerre importé de Paris à Londres, en 1823 et populaire jusqu’en 1880. C’était un souvenir qu’on pouvait emporter après l’avoir visité. Elles ont été publiées par William Spooner qui tenait boutique 377, le Strand à Londres. Il s’agit d’une vue d’optique avec transformation suivant que l’éclairage est antérieur ou postérieur. Il y a habituellement sur la face antérieure du papier un paysage calme ou un monument célèbre et sur la face postérieure, une vue plus dramatique, comme une bataille ou une conflagration, visible quand l’éclairage est postérieur. Toutes ces vues sont identifiées par une étiquette avec le titre, le nom de l’illustrateur et celui de l’éditeur. Nous en possédons un bel exemple avec ce Bombardment of Algiers, peint pas George Danson “comme il est représenté aux Jardins zoologiques de Liverpool”, et publié par William Spooner.
Estimation : Selon leur état et leur taille, les polyoramas se négocient entre 600 et 900 €. Compter 100 € pièce environ pour les vues pour ces appareils et les vues d’optique en bon état. Les Protean Views sont évaluées à 200 € pièce environ, mais se trouvent rarement en France.
Collectionneur de jouets anciens