Théâtres de papier

Le spectacle au salon

Gravure extraite de La Mode illustrée.

Dans la seconde moitié du 19e siècle, on assiste à un engouement pour ces théâtres de papier devenus théâtres pour enfants ; on y joue des scénettes inspirées des contes de fées. Ce spectacle se déroulait dans le cadre familial, ou devant les petits amis réunis dans le salon. Toutes les pièces telles que les coulisses, les scènes latérales, les personnages et les décors, vendues sous forme de planches en papier, devaient d’abord être découpées, puis pliées selon les spécifications et montées avec des tiges de guidage ou des supports, sinon dressées dans des rainures entaillées dans le plancher de la scène des théâtres à rainures Pellerin.

Des pièces à monter

Planche à découper du Théâtre à rainures Pellerin.

La devanture du théâtre, le fronton, les loges, l’orchestre étaient à découper sur une grande feuille de papier fin avec, mentionné, le mode d’emploi comme dans cette feuille de l’imagier Pellerin & Cie, à Épinal, numéro 1541.

Théâtre français Pellerin, feuille N° 1541.

Les acteurs étaient également imprimés sur des feuilles séparées. Autant de personnages correspondant à diverses comédies.

La troupe du Théâtre portatif.

Que le spectacle commence !

Une fois les panneaux soigneusement découpés et collés sur du carton fort, puis dressés sur un plancher, le spectacle pouvait commencer. Il suffisait d’installer le théâtre sur une table devant les spectateurs. À l’époque, les bougies ou les lampes à pétrole assuraient l’éclairage qui, avec les ombres portées et le frémissement des flammes, contribuaient à donner vie à ces scènes de théâtre.

Le théâtre est complet.

Pour les enfants des familles aisées

Les feuilles d’images étaient principalement achetées et utilisées par une clientèle bourgeoise pour divertir et éduquer les enfants. Elles ont été édités dès le début du 19e siècle : 

— En Angleterre tout d’abord avec comme éditeurs William West, John Redington, J.-K. Green et surtout Benjamin Pollok, à Londres, dont le souvenir perdure dans le quartier de Covent Garden, au Pollock’s Toy Museum, riche en théâtres d’enfant ; 

— En Allemagne avec les éditions Schreiber à Esslingen ; 

— En France avec Pellerin, éditeur d’images à Épinal, dont la maison a été fondé en 1796, comme le signale la grande feuille n°1541 du Théâtre français.

Salle des théâtres jouets miniatures au musée Pollock’s de Londres.

Les images d’Épinal au service du théâtre

Ces planches d’images étaient gravées sur bois ou sur cuivre puis lithographiées et coloriées à la main. Elles reproduisaient des décors miniatures de théâtre permettant de recréer et de mettre en scène des historiettes. En ces temps lointains, où ne régnait pas la télévision, ces théâtres permettaient de réunir enfants et parents, le soir autour de la lampe, pour découper ces planches, les assembler et redonner vie au spectacle qu’ils avaient pu voir dans la réalité.

La Maison de campagne (images Pellerin N° 1546 et 1547).

C’est vers 1840 que Pellerin ajoute à ses pantins et soldats, qui avaient fait sa célébrité, des planches de théâtre qu’il complète, vers 1860, par d’autres séries de modèles. Ces planches en papier fort, disponibles en deux formats 40 x 30 cm ou 24 x 30 cm, sont innombrables. Les mentions “Imagerie d’Épinal”, le numéro de la planche et “Pellerin & Cie imp.-édit.” sont imprimées à gauche ; à droite “Pouvant se monter et se démonter instantanément, changement de décor à la minute” ; et au centre, “Nouveau Théâtre portatif à rainures avec le titre de la planche”. En voici quelques-unes de ma collection :

Palais et jardins du Luxembourg (images Pellerin N° 1548 et 1549).

Ces décors datent de la fin du 19e siècle. J’en possède plus d’une trentaine, certains en double, ce qui m’a permis d’en utiliser pour remonter le Théâtre français présenté ci-dessus avec son décor et ses acteurs.

La Prison (images Pellerin N° 1552 et 1553).

Pellerin se lance dans les grandes constructions

Pellerin a aussi édité dans la série des Grandes constructions des “Petits théâtres” imprimés sur une seule feuille sauf exception, en papier fort, au format 50 x38,5 cm, coloriés et à découper, représentant des décors et des personnages. En voici deux exemples :
L’Attaque de la diligence avec la devanture du théâtre “Folies dramatiques”, le décor et les coulisses à monter et coller, la diligence et les personnages. Un encart donne les explications nécessaires pour le montage.

L’Attaque de la diligence (Pellerin, feuille N° 623).

Barbe bleue, avec devanture de théâtre marquée “Drame”, les décors et les divers personnages.

Barbe Bleue (Pellerin, feuille N° 621).

D’autres éditeurs

Pellerin n’a pas été le seul imprimeur à éditer des théâtres en papier. Citons également Dehalt qui en a produits à Nancy. Nous possédons de cet imprimeur la collection complète, présentée encore dans sa chemise d’origine, des décors du Théâtre des Folies bergères (9 décors et 20 images), avec la devanture, le rideau de scène. Chaque décor comprenant deux feuilles avec le fond, les coulisses de droite et de gauche et les accessoires, le tout lithographié, colorié au pochoir sur papier fin, datant de la fin du 19e ou du début du 20e siècle. Les feuilles sont marquée à gauche “Imagerie de Nancy”, avec parfois “Dehalt” ; au milieu “Théâtre des Folies bergère(s)”, avec le titre de la feuille ; et à droite, nous trouvons le numéro de la feuille.

Diverses scènes sont joliment illustrées, dessinées et peintes de couleurs éclatantes : un village, une chambre rustique, un palais, la mer, un jardin, un fort, une place publique, permettant de jouer toutes les pièces que l’on peut représenter. Le format de ces feuilles est de 29,5 x 40,2 cm.

Dans les revues enfantines

Les revues enfantines imprimaient également de tels théâtres à monter chez soi. Tel le théâtre “Châtelet” proposé par le journal La Poupée modèle dans son supplément du 15 juillet 1904. Les personnages, visages en papier mâché et vêtements de papier, sont manipulés par des tringles auxquelles ils sont suspendus.

Le Théâtre du Châtelet met en scène des personnages en 3 D.

Pour aborder les classiques

Le nombre de ces feuilles destinées à être utilisées pour la confection et l’animation de ces théâtres enfantins témoigne de l’engouement des enfants et de leurs parents pour cette distraction qui se voulait instructive et qui permettait aux parents et aux enfants de collaborer, ensemble, à leur confection et à l’animation de spectacles familiaux, aidés, tout au moins en Grande-Bretagne, par des livrets qui résumaient Otello, Richard III ou Hamlet

Carte postale des années 1930.

Estimations : Les théâtres enfantins connurent un réel succès surtout jusqu’à la Guerre de 14 et l’arrivée du cinéma. Ils ont perduré jusque dans l’entre deux guerre. Ces planches s’échangent à partir de 15 € jusqu’à 300 ou 400 €.

Claude Lamboley

Collectionneur de jouets anciens

Collection et photos © CL.