Théâtres miniatures

Les dioramas d’Engelbrecht

Le théâtre est un moyen magique de se projeter dans l’existence d’un autre, de vivre dans un autre monde, de participer à d’autres évènements. On comprend que cette magie ne pouvait que séduire les enfants ; c’était pour eux le moyen de concrétiser les histoires que leurs racontaient leurs parents, de donner vie au monde merveilleux des contes de fées. Le 19e siècle sera le siècle d’or des théâtres miniatures, des théâtres de papier pour enfant. Mais ces jouets avaient été précédés, dès le dernier quart du 18e siècle, par des théâtres de salon pour adultes, appelés alors “Boîtes de perspectives amusantes” ou encore “Peepshows” par les Anglais. Nous en avons une description dans L’Optique de l’abbé Nollet de 1771 : Une boîte longue dont le dessus n’est qu’une gaze ou un taffetas blanc et très mince, pour laisser passer beaucoup de lumière ; l’un des petits côtés AB, porte un miroir concave, dont le foyer est à la distance F ; et sur l’autre en dedans on glisse successivement des cartons peints qui représentent des édifices, des jardins, et d’autres objets semblables ; on place l’œil vis-à-vis d’un trou, qui est percé à jour dans le même côté de la boite, un peu au-dessus des cartons […].

La boîte de perspective amusante, un théâtre de salon pour adultes.

L’effet de perspective du diorama

Ces théâtres ornaient les cabinets de curiosités de riches amateurs. La plupart de ces boîtes, très fragiles, ont disparu mais il reste des cartons peints qui servaient de décors et qui avaient été réalisés par des graveurs du temps. Le plus célèbre d’entre eux est le graveur d’Augsbourg, Martin Engelbrecht (1684-1756), considéré comme l’un des inventeurs du théâtre de papier. Initialement, il gravait des vues d’optique, puis il a eu l’idée, vers 1730, de réduire la taille des images et de les proposer à des clients privés. Ces “dioramas” miniatures, offerts dans des chemises en carton, sont considérés comme les premiers exemples de théâtre de papier pour enfants. Ces théâtres miniatures se composent de cinq à huit feuilles en forme de décor, finement découpées et peintes à la main, qui créent une image en perspective si elles sont disposées l’une derrière l’autre. Les thèmes sont souvent religieux, mais ces scènes montrent aussi la vie courtoise, les saisons… Nous possédons un exemplaire de la production d’Engelbrecht.

Un jeu de six cartes

Il se présente sous la forme d’un jeu de six cartes, soit un ensemble de six scènes finement découpées et gravées sur carton avec un fond de scène, coloriées à la main, conçues pour mettre en valeur la splendeur d’une église baroque vue à travers trois arcs. La carte de fond est imprimée “6” au pied, ce qui confirme qu’il s’agit d’un ensemble de six. En outre, le propriétaire original a numéroté les cartes à l’encre au verso pour indiquer l’ordre correct de visualisation.

L’ensemble des six cartes, chacune mesurant 88 x 140 mm.

Un rare exemplaire du 18e siècle

Lors de leur achat, ces cartes étaient présentées dans un emballage contemporain en papier vergé, avec pour titre, écrit à l’encre : “Chapelle populaire”. Non signées, le style d’impression, la délicatesse des couleurs, le numéro “6” imprimé sur la carte du fond, permettent de supposer comme probable qu’elles sont l’œuvre de Martin Engelbrecht ou de ses suiveurs. La mort de Martin Engelbrecht, le 17 janvier 1756, ne marquant en aucun cas la fin des vues de perspectives. Les héritiers d’Engelbrecht (ses filles et ses gendres) maintinrent la maison jusqu’au 19e siècle, sous le nom conservé, mais mieux vaut limiter la période approximative de l’apparition des vues de perspectives, entre les dates de 1737 et 1770. Notre exemplaire est probablement daté de 1750-60. Pour la représentation et la conservation de cet ensemble, les cartes ont été mises dans une boîte, comme c’était l’usage par le passé.

Les vues de perspectives disposées en enfilade.

Peepshows anglais

Au début du 19e siècle, l’idée des dioramas d’Engelbecht a été reprise avec ce que les Anglais appellent Perspective Peepshows dépliants. Il s’agit de vues dépliantes à perspectives découpées, collées sur des feuilles de carton fin et montées sur soufflet en papier, coloriées à la main et protégées, une fois repliées, dans un étui cartonné. Nous en possédons un exemplaire, d’origine française, probablement daté des années 1820-1830, qui représente une église. C’est par un trou, figuré par la porte grande ouverte, qu’on visualise l’intérieur de l’église où se déroulent un baptême et, plus loin, un mariage. À l’entrée, se présente un couple habillé selon la mode de la Restauration et sous le porche, un mendiant demande l’aumône. Notre exemplaire est en parfait état malgré sa grande fragilité. Il est constitué de six feuilles de décor. Une fois repliées, ces vues sont protégées dans un étui cartonné (15 x 13 cm) portant une étiquette marquée Optique n°2. L’éditeur, comme c’est souvent le cas, est inconnu.

Déployé, cet exceptionnel Peepshow mesure 50 cm de longueur.

Estimation : De nombreux exemplaires montés ou non sont répertoriés au Musée du cinéma de Paris, mais il est inutile de préciser que ces dioramas, très fragiles, sont assez rares. Aussi, lorsqu’ils passent en salle des ventes, leurs prix sont-ils élevés, tournant autour de 1000 à 2000 €.

Claude Lamboley

Photos et collection © Claude Lamboley