Bébé rustique et populaire
De tous temps, les petites filles ont été attirées par les poupées. C’est ainsi que dans quelques tombes antiques, égyptiennes, grecques ou romaines, on a retrouvé des poupées en bois ou en ivoire. Malgré la mode de la théorie du genre, c’est toujours le cas de nos jours. Mais par le passé, tout particulièrement au XIXe siècle, époque où la société s’embourgeoise, seuls des enfants privilégiés pouvaient se voir offrir ces poupées belles mais onéreuses, en cire, en bois, en porcelaine ou en biscuit, vendues dans les grands magasins. Pourtant les petites filles pauvres jouaient aussi à la poupée mais il n’en reste aucune trace car il s’agissait de poupées en paille ou en chiffons fabriquées par le père, humble paysan ou modeste artisan, un peu comme ces poupées exposées au Musée de l’Homme faites d’os, de branchages et de crottes d’animaux, originaires de certaines tribus nomades ou sédentaires d’Afrique française du nord ou du Sahara, dont voici un exemplaire d’origine marocaine recueilli en 1931.
Qu’est-ce qu’un poupard ?
Le seul témoignage de ces poupées du pauvre, ce sont les « poupards » comme celui représenté dans la gouache de Lesueur, qui figure en tête de cet article, provenant du musée Carnavalet.
Qu’appelle-t-on « poupard » ? De nos jours, “Poupard”, terme français très ancien, est généralement utilisé pour désigner des poupées très raides, en carton moulé, parfois sans jambes et même sans bras, naïvement peintes, aux coloris éclatants et sans nuances, aux traits grossiers, datant généralement du tournant du XIXe siècle. Ce sont des poupées attachantes, très émouvantes, peu connues, peu collectionnées et pourtant ce furent de véritables jouets populaires. Le poupard semble être inspiré de ces quilles en bois, à peine ébauchées qu’on trouvait dans les bazars, mais aussi, probablement, de la façon dont les nourrissons étaient emmaillotés pour éviter, disait-on, les malformations des membres. C’est là, probablement, la cause principale de son succès : il est le bébé de la petite fille à l’image de son petit frère ou de sa petite sœur encore dans les langes. Mais peut- être faut-il faire aussi un lien avec ces poupées en terre cuite du XIIIe siècle dont on a trouvé quelques exemplaires sous les pavés de Strasbourg. En voici ici une représentation, poupée sans jambes et dont les bras sont à peine suggérés.
Une poupée populaire
Le poupard a eu un très grand succès, car le moulage est une technique connue et maîtrisée depuis longtemps, les matériaux, tels que déchets de papier, carton, ou plâtre, sont faciles à travailler et surtout bon marché. On en veut pour preuve le nombre de poupards figurant dans les cartes postales du début du siècle.
Témoigne aussi de sa popularité cette chanson « Les poupards » extraite du joli livre La chanson des joujoux de Jules Jouy, datant de 1880, dont l’illustration d’André Marie et ces quelques strophes un peu surannées soulignent le contraste entre cette poupée du pauvre et les belles poupées de la bourgeoisie.
La poupée du pauvre
Poupée rudimentaire et désuète, le poupard était alors la poupée à un sou, la poupée du pauvre. Elle est le témoin d’un art populaire de notre pays en matière de jouets. Sa popularité, de 1880 à 1920, était surtout rurale. D’abord, probablement très répandue en France par les marchands ambulants, les grands magasins de l’époque tels Le Printemps, La Place Clichy, ou Le Bon Marché s’y intéresseront et contribueront à la diffuser grâce aux catalogues d’étrennes distribués par la Poste. Ils porteront des noms accrocheurs : Bébé-Culotte, Bébé-Promenette ou Bébé-Maillot. On en trouvait aussi et surtout dans le moindre petit bazar. En 1903, un poupard coutait 1,90 F alors qu’une poupée fabriquée par Jumeau coûtait jusqu’à 21,00 F selon sa taille.
Rustique et tendre
Notre poupard mesure 20 cm. Il est en composition, mélange de carton mâché et de plâtre, matière incassable moulée en deux parties secondairement collées puis grossièrement ébarbées, poncées à la va-vite et peintes par des « décoreuses ». Celles-ci, après avoir plongé dans un bain de couleur rose puis séché l’ébauche du poupard, se contentaient au pinceau de dessiner d’un trait rouge les lèvres, de piquer deux points rouges pour les narines, deux points bleus ou noirs pour les yeux et de figurer les cils et les sourcils, sous forme de petits traits noirs qu’il fallait faire très réguliers.
La tête, coiffée d’un bonnet blanc crème à peine ébauché, et les bras sont de couleur crème. Le pli du cou est souligné d’un trait rouge fin. Le buste est vêtu d’une chemise de couleur orangée avec le col esquissé d’un trait rouge. Ses jambes sont cachées par une sorte de lange grossièrement moulé d’un ton orangé avec une ceinture marquée d’un trait rouge. La tête et les bras sont mobiles de façon rudimentaire tenus par un fil de fer traversant le tronc et la tête, les mains sont grossièrement façonnées, les doigts à peine ébauchés et la droite tient un biberon dont la tétine est signalée par un point rouge.
Conservés dans les musées
Ces poupards passent rarement en salles des ventes, car ils intéressent peu les collectionneurs, surtout attirés par la beauté des poupées à tête en biscuit. On peut en voir, exposés au Musée des Arts Populaires à Laduz (89) que j’avais eu l’opportunité de visiter avec son propriétaire, Raymond Humbert, aujourd’hui décédé.
Aussi ai-je saisi l’occasion d’acheter ce vestige d’une tendresse enfantine émouvante, témoin d’une société et d’une époque à jamais disparues, quand il s’est présenté à la vente, il y a plusieurs années.
Estimation : quand ils sont proposés à la vente, leur prix se situe entre 50 et 100 €, voire plus selon la taille.
Biblio
Les jouets populaires, par Raymond Humbert, Editions Temps actuel, 1983.
Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens