Avions-jouets chiliens

Le Chili est le pays le plus long de la planète, avec près de 4300 kilomètres du nord au sud, mais c’est aussi l’un des plus étroits, avec un peu plus de 170 kilomètres à son point le plus large. À son tour, cette vaste bande de terre d’Amérique du Sud est flanquée à l’ouest par l’océan Pacifique et à l’est par la cordillère des Andes. Cependant, cette situation géographique d’isolement extrême n’a pas empêché l’aviation d’arriver et de se développer tôt, comme dans l’Argentine voisine. Survoler les Andes à plus de 6000 mètres d’altitude constituait le plus grand défi pour les pionniers de l’époque héroïque de l’aviation.

Une collaboration franco-chilienne

Le premier vol au Chili a été effectué par les frères César et Félix Copetta Brossio à bord d’un biplan Voisin, dans la banlieue de Santiago, le 21 août 1910. Ces frères, nés à Paris, étaient arrivés avec leur famille, à l’âge de 14 et 12 ans, dans le pays en 1892. Leur père avait été envoyé par Gustave Eiffel pour travailler sur certains de ses projets au Chili. Après ce premier vol, l’enthousiasme pour l’aviation a grandi de façon exponentielle, avec une douzaine de pilotes chiliens qui ont repoussé chaque jour les limites.
De son côté, José Luis Sánchez Besa, pilote, concepteur et constructeur aéronautique chilien, a créé en France une usine de gros porteurs, fournissant dans un premier temps l’aviation militaire chilienne. Cet établissement industriel fut cédé au gouvernement français pendant la Première Guerre mondiale. Sánchez Besa a créé quatre usines avec environ cinq mille ouvriers français, qui ont construit un peu plus de trois mille avions.

L’épopée andine

À la fin des années 1910, les avions devenaient plus puissants et plus fiables, atteignant de plus grandes hauteurs. Les Andes ne semblaient plus invincibles. Les Argentins Ángel María Zuloaga et Eduardo Bradley l’avaient déjà traversé en montgolfière, le 24 juin 1916. Ce fut alors le tour de l’aviation.
Le premier fut le lieutenant argentin Luis Cenobio Candelaria qui, le 13 avril 1918, traversa les Andes d’est en ouest dans un secteur bas de la cordillère, en Patagonie, à bord d’un Morane-Saulnier Parasol, atteignant 4000 mètres d’altitude.

Timbre commémoratif, émission Poste argentine 1971.

Quelques mois plus tard, le 12 décembre 1918, le lieutenant chilien Dagoberto Godoy Fuentealba réussit l’exploit de traverser la partie la plus haute des Andes à bord d’un Bristol M1C, dépassant les 6300 mètres d’altitude.

Timbre commémoratif, émission Casa de Moneda de Chile, 1971.


En 1929, la Ligne aérienne nationale LAN, actuellement Latam Chile, est fondée et, en 1930, la Compagnie générale aéropostale, avec les légendaires Antoine de Saint-Exupéry, Jean Mermoz et Henri Guillaumet aux commandes de ses avions, a commencé à relier Buenos Aires à Santiago du Chili, à travers les Andes par le secteur le plus élevé.

Aux pionniers de l’Aéropostale Codos et Guillaumet, “le rescapé des Andes”, Poste aérienne française, 1973.

Les avions Fach Pinocho

Les enfants chiliens ne pouvaient échapper à la fascination pour l’aviation. Cependant, les seuls chanceux étaient ceux dont les parents pouvaient acheter les zeppelins et les avions jouets importés d’Allemagne que les grands magasins García de Santiago proposaient en 1930. Seulement depuis 1934, la société chilienne Fuenzalida, Jiménez & Cía fait irruption sur le marché local avec ses jouets en métal émaillé de grande qualité et durabilité, qui portent la marque Pinocho (Pinocchio). Parmi eux, se distinguent les kits de construction d’avions, répliqués à partir des sets Meccano Airplane Constructor, avec certaines versions deux fois plus grandes que l’original britannique. Dans la première série commercialisée dans les années 1930, les pièces d’avions étaient réalisées par découpage et, dans les années 1940, elles étaient fabriquées par emboutissage avec un design plus élaboré.

Ci-dessus, quatre avions à assembler Fach-Pinocho : 1 – Avion biplan en tôle d’acier émaillée et caoutchouc, 1935, L. 35 cm ; 2 – Avion en tôle d’acier émaillée, 1941, L. 53 cm ; 3 – Hydravion biplan en tôle d’acier émaillée et bois, 1942, L. 53 cm : 4 – Avion biplan en tôle émaillée et caoutchouc, 1943, L. 53 cm.

La marque sur le pneu en caoutchouc.
Inscription au pochoir sous ailes.

Peu de temps après, entre 1935 et 1936, l’entreprise Figueras, Puig & Cía, utilisant une matrice de sa propre conception, elle a produit un bombardier très coloré et attrayant, décoré de cocardes chiliennes et de la plaque d’immatriculation CH1.

Bombardier CH1 Figueras Puig, en tôle lithographiée de 1936, L. 29 cm.
Enfant chilien avec son bombardier Figueras Puig vers 1938.

Essor du jouet chilien dans les années 1940

Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme dans toute la région, l’industrie du jouet au Chili s’est considérablement développée en raison du phénomène de substitution des importations, provoqué par l’interruption du trafic maritime commercial. À partir de 1941, Ramón Vásquez Carvajal & Cía, une petite industrie établie à Valparaíso, profita de cette situation et, parmi ses jouets, présenta un avion de conception originale, du type penny-toy, en différentes versions de couleurs, avec les immatriculations CAS (Club aérien Santiago), CAT (Club aérien Temuco) et CAV (Club aérien Valparaíso).

Puis ce fut le tour d’un bombardier bimoteur, avec et sans camouflage, et d’un avion plus gros inspiré du Douglas C-47 Skytrain ou Dakota, avec lithographie en différentes couleurs et immatriculation A 23. En complément du C-47, Vásquez a fabriqué un Pushback Tractor ou tracteur de remorquage.

Ci-dessus, quatre modèles de fabrication Vásquez : 1 et 2 – Bombardiers en tôle lithographiée de 1943, L. 13 cm ; – Douglas C-47 A23 en tôle lithographiée de 1945, L. 24 cm ; 4 – Tracteur de remorquage en tôle lithographiée de 1945, L. 9,5 cm. 

Des avions à découper

Des avions en papier ont également été produits pour être découpés et assemblés, comme El Avión, conçu par Joaquín Guitart, publié par la Sociedad Editora Zig-Zag en 1943, sous forme de livret de 15 pages, dans le cadre de sa collection « Jouets pour enfants Zig-Zag ».
Les magazines pour enfants du même éditeur proposaient également des avions à découper et à assembler dans leurs pages, comme El Cabrito (1941-1948) et El Peneca (1908-1960), dans ce dernier entre 1940 et 1960.

El Avión, à découper et assembler, collection Jouets pour enfants Zig-Zag de 1943.

Ci-dessus, deux avions à découper et à assembler : (à g.) Avión para armar, magazine El Cabrito, 1945 ; (à dr.) El Aerocotal, magazine El Peneca, 1952.

Des avions en bois

Même s’il ne permettait pas de restituer des détails précis dans la fabrication de jouets robustes, le bois était un autre matériau utilisé dans les avions miniatures. En 1943, Oscar Bubert, un Allemand vivant au Chili, a produit un ensemble coloré de pièces interchangeables dans une boîte, avec des instructions pour assembler cinq exemplaires différents d’avions.

Jeu de construction d’avions Bubert, en bois, 1943.
Notice pour le montage de 5 modèles d’avions en bois Bubert.


De son côté, Coda & Cía présentait dans ces années-là deux modèles au design futuriste : un Avión Bombardeo N°14 (avion bombardier) et un Avión Murciélago N°15 (avion chauve-souris).

Bombardier et avion chauve-souris Coda, en bois laqué, 1943, L. 28 cm et 37 cm.


Dans de nombreux cas, ces types de jouets ne portaient pas le logo ou la marque du fabricant. Parmi une grande variété, citons :
• Un avion de passagers de la Pan American-Grace Airways, également connu sous le nom de Panagra, qui reliait New-York à l’Amérique-du-Sud entre 1928 et 1966 ;

Avion de ligne Panagra, en bois laqué de 1944, L. 22 cm.

 • Une grande maquette de l’hydravion Savoia-Marchetti SM.55 « Santa María », des Italiens Pinedo, Del Prete et Zacchetti, qui reliait l’Italie à l’Amérique-du-Sud en 1927.

Hydravion Savoia-Marchetti SM.55 Santa María, en bois laqué de 1945,, L. 65 cm.

Neumann, leader du jouet chilien

Entre les années 1940 et 1960, Neumann, la plus importante usine de jouets du Chili à l’époque, équivalente à celle de Matarazzo en Argentine, présentait deux modèles d’avions, un trimoteur et un avion à réaction de chasse à ailes delta. D’après la version de la lithographie, le trimoteur représentait un bombardier avec la cocarde britannique, un drapeau français et l’immatriculation LO.C.45-1 ; ou, un avion de ligne portant la cocarde chilienne, l’immatriculation TW-59 et la mention “Ardilla”, résultante du rapprochement et des échanges commerciaux entre leux entreprises Neumann et Figueras Puig, le créateur de la marque Ardilla.

Bombardier LOC45-1 Neumann en tôle lithographiée de 1947, L. 14 cm.
Avion de ligne TW-59 Ardilla-Neumann en tôle lithographiée de 1950, L. 14 cm.


De son côté, l’avion à réaction était une réplique du Convair F-106 Delta Dart, jouet produit aux États-Unis par la société A.C. Gilbert. Il a été présenté en deux versions avec de curieuses particularités dans ses lithographies. L’un d’eux portait les inscriptions Air Force FW-52 New-York L 1960, avec de la cocarde de la Fuerza Aérea de Chile FACh (l’Armée de l’air chilienne) ; tandis que l’autre version du Convair indiquait Fach TW-14 El Bosque (base aérienne chilienne) E 1960, mais avec la cocarde similaire à celui de l’US Air Force et des étoiles jaunes sur ses ailes.

Les deux versions du Convair F-106 Delta Dart Neumann de 1960, en tôle lithographiée, mécanisme à friction, L. 18 cm.

L’arrivée du plastique

Avec la matière plastique définitivement installée dans l’industrie du jouet, la société Shyf, fondée en 1932, a produit l’avion de passagers quadrimoteur Douglas DC6B de la Ligne aérienne nationale LAN Chile immatriculé CC-CLDA, une réplique à l’échelle de l’avion qui a réalisé le premier vol commercial vers l’Antarctique chilienne, en 1956.
En plus, dans son catalogue de produits de 1958, Shyf présentait comme article référencé A 1088 un avion Douglas C-47 avec des cocardes chiliennes.

Douglas DC-6 LAN Chile Shyf, en plastique avec décalcomanies, de 1957, L. 21 cm.
Douglas C-47 en plastique de 1958 , L. 11 cm
Page du catalogue Shyf de 1958.

Moules importés, fabrications chiliennes

Entre 1950 et 1970, Gastón Grubner importait des matrices réformées d’Europe et du Japon dont il tirait grand avantage, puisqu’il installa son usine dans la zone franche d’Arica, à l’extrême nord du pays. Il commercialisait ainsi des modèles de jouets étrangers fabriqués au Chili qu’il décorait dans de nombreux cas aux couleurs nationales. Les modèles les plus remarquables de sa production étaient le bombardier A755 de l’US Air Force, basé sur la matrice produite par Arnold en Allemagne ; l’avion léger HWN-70 SAF, une reproduction du navire du jeu “Sport Plane” fabriqué par Heinrich Wimmer HWN de Nuremberg ; le Cessna AIR 105 GG-482, avec le moule du HWN Nr 105 Friction-Cessna Plane ; et un avion de ligne de LAN Chile de matrice non identifiée.

Ci-dessus, quatre modèles G. Grubner : – Bombardier USAF A755 en tôle lithographiée, mécanisme d’horlogerie, système de pierre à briquet produisant des étincelles, 1955, L. 11,5 cm ; 2 – Cessna HWN 70 en tôle lithographiée et plastique, mécanisme à friction, l’hélice tournante, 1960, L. 20 cm ; 3 – Cessna Air 105 en tôle émaillée et plastique avec décalcomanies, mécanisme à friction, l’hélice tournante, 1962, L. 28 cm ; 4 – Avion de ligne LAN Chile en tôle émaillée, mécanisme à friction, 1970, L. 31 cm.

Ligne chilienne dans l’air Corgi-Toys

En 1966, bien qu’elle n’ait pas produit d’avions à l’échelle, la compagnie Manufactura de Metales Quilpué MMQ présenta, au sein de sa gamme de véhicules en zamak à l’échelle du 1/43e, un Combi Volkswagen aux couleurs d’un fourgon auxiliaire de piste de la Ligne aérienne nationale LAN Chile.

Volkswagen Combi Lan Chile en zamak au 1/43e, 1968.

Clap de fin

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, la nouvelle version du magazine pour enfants El Peneca (1971-1972) et les albums de six pages des Recortables Royal de la Litografía Moderna de Valparaíso ont sauvé de l’oubli les avions de papier à découper et à assembler.

Avioneta, à découper et à assembler, magazine El Peneca, 1972.


Peu de temps après, dans les années 1980, l’invasion des jouets importés, principalement de Chine, a porté le coup final à l’industrie du jouet déjà en difficulté au Chili, qui a presque complètement arrêté son processus de production après plus de 50 ans d’activité.

Biblio

100 años de fabricación chilena, par Juan Antonio Santis Márquez, Ocho Libros Editores, 2010 (en espagnol).

Neumann, de tarros a juguetes / from tin to toys, par Juan Antonio Santis Márquez, Édition de l’auteur, 2018 (bilingue anglais-espagnol).

Diego Lascano
Auteur (© Texte et photos)

Je remercie le Museo del Juguete Chileno (Musée du Jouet Chilien) de la Pontificia Universidad Católica de Chile (Université Pontificale Catholique du Chili) et, en particulier, son directeur, Juan Antonio Santis, d’avoir mis à ma disposition leur collection d’avions jouets pour photographier et illustrer cet article.

Je dédie cet article à deux grands connaisseurs d’avions jouets : Frédéric Marchand et Patrick Despature.