Les mécanismes d’horlogerie des frères Denis
L’entreprise familiale Denis & Cie, qui produisait des mécanismes d’horlogerie depuis 1874 à Saint-Nicolas-d’Aliermont en Seine-Maritime, s’est orientée dès l’immédiat après-guerre vers la fabrication de jouets sous le nom de La Hotte Saint-Nicolas, puis Jouets St-Nicolas.
Histoire de jouets dans une cité horlogère
La ville normande de Saint-Nicolas-d’Aliermont a bénéficié d’une réputation enviable acquise au cours des siècles pour la haute qualité de sa production horlogère. Toutefois, le déclin de ce secteur d’activité au début du XXe siècle, a contraint les horlogers des rois à la reconversion pour la fabrication de chronomètres, régulateurs, moteurs de jouets…
Ainsi, les frères Paul et Georges Denis, descendants d’une famille de fabricants d’horlogerie et horlogers eux-mêmes formés à Cluses dans le Doubs, reprennent en 1932 l’entreprise familiale fondée en 1874 à Saint-Nicolas-d’Aliermont et se spécialisent dans la petite mécanique de précision, minuteries de compteurs et mouvements d’horlogerie. Au sortir de la guerre, l’entreprise Denis frères affiche une production annuelle d’environ 35 000 compteurs d’eau, gaz et électricité mais doit se diversifier pour palier la pénurie de matières premières. La demande de jouets s’accroît. Ceci n’échappe pas à Paul Denis qui pressent la vague portante et opte pour la fabrication de jouets dès 1947.
Production de jouets à partir de 1947
L’occasion s’offre à l’entreprise Denis Frères d’utiliser le stock d’aluminium, rare matériau dont l’entreprise dispose encore. Et sans doute pour ne pas rompre tout à fait avec la tradition de l’horlogerie, le premier modèle réalisé est une montre factice d’enfant ! Coup d’essai et coup de maître, le succès commercial est au rendez-vous et un million d’exemplaires de montres en aluminium anodisé sortiront des ateliers avant d’être sérieusement concurrencées par Norev.
La Hotte se remplit
Encouragé par cette première réussite Paul Denis imaginera pendant une dizaine d’années des jouets originaux en tôle imprimée avec mécanisme à clé. Ils seront placés sous la protection du charismatique Saint-Nicolas, nom qui est aussi celui de la commune de fabrication, et commercialisés sous le nom de “La Hotte Saint-Nicolas”. Denis frères & Cie restant la raison sociale pour les autres secteurs d’activités : mécanique de précision, pièces automobiles, interphones, taximètres, etc.
Le premier logo de la marque, une tête d’éléphant portée par le H de “La Hotte” et insérée dans une roue dentée, a été utilisé jusqu’en 1953. L’effigie de St-Nicolas le remplacera jusqu’à la fin de la production.
Des jouets en tôle mécaniques
La tôle est découpée et emboutie dans les ateliers de Saint-Nicolas-d’Aliermont. Les jouets sont assemblés à domicile le plus souvent par les conjoints des employés. A partir de 1950, 120 employés travaillent dans l’entreprise. Cet effectif s’élève à 200 personnes entre septembre et janvier pour satisfaire aux commandes de fin d’année. Les jouets sont robustes et dotés de mouvements de qualité . L’inspiration dans la création des modèles est variée.
Paul Denis, qui se rendait régulièrement à Nuremberg pour découvrir les productions d’outre-Rhin qu’il admirait particulièrement, est revenu semble t-il avec le moule du tracteur Gama dans ses bagages. En revanche, exceptée la remorque Gama, le matériel agricole, herse et citerne, qui composait le coffret “La ferme modèle”, est une création originale La Hotte.
Il n’est que de regarder le charme des premiers modèles de la marque comme le marchand de glace, le tracteur ou le chariot élévateur pour s’en convaincre.
Les automobiles
A la fin de la décennie, La Hotte Saint-Nicolas se lance dans la reproduction de modèles automobiles : la DS, la Vespa et la Floride à friction ou filoguidées. La DS en particulier nécessite une longue manutention pour le découpage, l’emboutissage, l’assemblage et la peinture des nombreuses pièces. Une rationalisation est intervenue par la suite en vue de la réduction des coûts. La Vespa à friction (réf. 508) et filoguidée (réf. 533) possède une carrosserie en plastique. La Floride est en tôle mais de facture plus sommaire que la DS.
La DS suscite un engouement d’importance difficile à satisfaire alors que la Floride, tout comme la vraie, plaît moins. Quant à la Vespa 400 son tirage sera limité.
Les pompes à essence
Pour agrémenter les bordures de routes, La Hotte St-Nicolas produit une station service et des pompes à carburant.
Les trains
Les coffrets de trains à écartement 35 mm sont également édités à la même époque. Le “Chemin de fer Montlhéry” de 75 cm de long est composé d’une motrice diesel Decauville et de deux wagons à double boggies, l’un portant une grue pivotante et l’autre deux plateformes superposées porte-autos, livré avec deux voitures de course et trois mètres de rails. Le “Chemin de fer industriel” de 60 cm de long est pourvu de la même motrice et du wagon à plateforme auxquels s’ajoute une benne versante.
Des jouets divers
La diversité et l’inspiration sont des atouts de La Hotte St-Nicolas qui a imaginé et créé des modèles variés pour satisfaire tous les goûts et toutes les bourses : animaux, scooters, avions, hélicoptère, bateaux, engins de chantier, kart, petits jeux et jouets de bazar…
• Le scooter Vespa (réf. 461) qui se déplace en 8 et le Tri-vespa (réf. 472) mécanique en tôle laquée aux remarquables finitions sont des jouets fort prisés des collectionneurs d’aujourd’hui.
• Les animaux entrent au catalogue au début des années 1960 en même temps que de petits engins motorisés présentés dans les bazars : la souris en tôle floquée à friction (réf. 513) ou mécanique (réf. 473), le canard Coin-Coin à friction (réf. 438), le chien Ric à friction (réf. 495) qui devient Ric-Rac dans sa version mécanique (réf. 465), côtoient l’avion Ouragan (réf. 510) ou le car Chausson (réf. 554).
• L’avion supersonique “Ouragan » en métal laqué (réf. 447), de 115 cm de long et l’avion Grand modèle (réf. 491) de 28 cm de long, disposent d’un moteur à friction.
• L’hélicoptère Sikorski S 58 à friction (réf. 535 I) ou électrique téléguidé (réf. 532 BT) aux couleurs vives, est aussi produit en 1960.
• Le transbordeur est un jouet mécanique en tôle soigneusement décoré, avec une cabine pivotante et flèche mobile actionnées par deux manettes.
La reconversion
Face à l’activité du secteur qui s’essouffle, l’entreprise Denis frères nourrit d’autres ambitions industrielles. Malgré la signature d’un accord commercial avec Disney pour la fabrication de la montre de Davy Croquett, l’entreprise coupe court à la branche jouets. La Hotte Saint-Nicolas disparaît. A partir de 1966, Denis frères prend son essor dans l’aéronautique. En 1979, cette société sera même agréée par la SMA (Service de maintenance de l’aéronautique) pour la production de pièces d’Airbus et de missiles.
Martine Hermann
(© Texte, photos MH et Ph. Bisson)