Jouets et politique

Distribution de jouets aux écoliers par la Fondation Eva Perón, vers 1950.

Les pays du Cône sud de l’Amérique n’ont pas pu échapper aux tendances populistes dominantes en Europe durant la première moitié du XXe siècle. La politisation et la militarisation de l’enfance et de l’adolescence, menées par les Jeunesses hitlériennes en Allemagne, l’Opération nationale Balilla en Italie et le Front de la jeunesse en Espagne, se sont révélées très efficaces pour capter la volonté des enfants et des jeunes. Sans aucun doute, grâce à des pratiques redoutables d’endoctrinement, ils ont acquis très tôt un engagement envers le patriotisme et les idéaux autoritaires.

« Un rêve devenu réalité »., affiche de la Fondation d’aide sociale María Eva Duarte de Perón, 1948.

Le jouet au service de l’idéologie

Ces expériences ont inspiré divers régimes gouvernementaux et organisations politiques en Argentine, au Brésil et au Chili, qui, entre les années 1930 et 1970, ont reproduit certaines méthodes expérimentées en Europe pour manipuler la pensée et les habitudes des jeunes, dans le but de les rendre compatibles avec leurs programmes politiques. Le culte de l’idéologie et de la personnalité de plusieurs dirigeants sud-américains était représenté dans les miniatures quelque peu caricaturales que les enfants incorporaient dans leurs jeux, ainsi que dans les livres scolaires et les magazines pour la jeunesse.

Timbre de la Fondation Eva Perón apposé sur les jouets offerts aux enfants des péronistes « torse nu », une sorte de sans-culottes argentins, vers 1950 (©coll. de l’auteur).

En Argentine, la propagande du couple Perón

Le cas le plus significatif de politisation de l’enfance s’est produit en Argentine, sous la présidence de Juan Domingo Perón (1946-1955). Son épouse, Eva Perón, a créé la Fondation qui porte son nom et a distribué gratuitement des jouets aux enfants de familles à faibles revenus. Cette œuvre de charité n’était pas exempte de l’usage et de l’abus de la propagande politique, en plaçant des timbres et des cartes postales avec les portraits du président et de son épouse sur les jouets et en imprimant clairement les noms « Perón-Evita » sur les sacs qui les contenaient.

Emballage des jouets de la Fondation Eva Perón, vers 1950.

Parmi l’ensemble varié de la liturgie péroniste, les différentes figurines du général Perón monté sur son cheval tacheté, offertes par la Fondation, cohabitaient avec les petits soldats. Défilés militaires à échelle réduite que les enfants présentaient dans leurs salons.

Perón avec son cheval tacheté “Mancha“. Sur la droite, le Cadillac et les Grenadiers à cheval de la Garde présidentielle, vers 1950.
Le général Juan Domingo Perón sur son cheval tacheté, figurine en composition réalisée par l’immigrant russe Vladimir Nastchokine pour sa marque de petits soldats argentins Magnífico, vers 1952, H. 11 cm. (© coll. de l’auteur).

D’autre part, alors que Perón faisait la promotion des industries automobile et aéronautique argentines, un fabricant non identifié produisit un jouet en composition représentant le modèle décapotable de la voiture Justicialista (péroniste), avec le président au volant et l’inscription Perón Cumple (Perón tient [ses promesses) sur les côtés.

Carte postale de propagande péroniste, 1953.
Voiture décapotable Justicialista (péroniste) en composition, réalisée par un fabricant non identifié, vers 1953, L. 25 cm. (© coll. privée).
Carte postale publicitaire pour la France de la voiture Justicialista, 1953.

De même, en 1953, la firme Trovador présente une maquette du Douglas DC-6 de la toute nouvelle compagnie Aerolíneas Argentinas, baptisée « Presidente Perón ».

Publicité de Trovador pour son Douglas DC-6 Aerolíneas Argentinas « Presidente Perón » en plastique, magazine Juguetes, 1953.

Au Chili, milice et junte militaires

Au Chili, l’exemple le plus ancien de jouet lié à la politique est celui des soldats de la Milice républicaine. Cette organisation paramilitaire chilienne, qui comptait plus de cinquante mille membres entre 1932 et 1936, s’opposa au retour de l’armée en politique en réponse au coup d’État et à la formation ultérieure de la République socialiste du Chili en 1932. Ces figurines plates en bois étaient vendues au siège de la Milice républicaine à Santiago du Chili.

Soldat de la Milice républicaine du Chili, en bois peint, vers 1934, H. 20 cm. (©coll. de l’auteur).

Vingt ans plus tard, lors de sa deuxième présidence (1952-1958), le général Carlos Ibáñez del Campo devint lui aussi un jouet, chevauchant son cheval en bois articulé.

Le général Carlos Ibáñez del Campo, président du Chili, 1951.
Le général sur son cheval, en bois peint, articulé et mobile, fabricant inconnu, vers 1953, H. 30 cm. (© coll. Museo del Juguete Chileno – UC).

Ce fut ensuite le tour de la Junte militaire du gouvernement (1973-1990), organisation présidée par le général Augusto Pinochet, qui apparut représentée dans des miniatures en plomb produites à partir du même moule, mais décorées des différents uniformes des militaires chiliens qui la composaient.

Junte militaire du Gouvernement du Chili, (de g. à dr.) : César Mendoza (Directeur général des Carabiniers) et les commandants en chef José Toribio Merino (Marine), Augusto Pinochet (Armée de terre) et Gustavo Leigh (Armée de l’air).
La Junte militaire du gouvernement du Chili, figurines en plomb émaillé, fabricant inconnu, H. 7 cm, vers 1974 (©coll. Museo del Juguete Chileno – UC).

Au Brésil, l’instabilité du culbuto

Le Brésil n’a pas fait exception. Getúlio Vargas, qui avait gouverné le pays légitimement entre 1930 et 1937, puis de facto de 1937 à 1945, a utilisé un jouet symbolique pendant la campagne politique pour accéder à son deuxième mandat présidentiel (1951-1954). Il s’agissait d’un João Bobo (culbuto ou ramponeau en français), avec l’inscription Ele voltará sempre em pé (“Il reviendra toujours debout”), associant son retour à la présidence du Brésil au nom en portugais de ce type de jouet (sempre-em-pé). Cependant, la fin de Vargas n’a pas été vraiment « debout », car il s’est suicidé avant la fin de son mandat.

Illustration de Getúlio Vargas avec des enfants brésiliens, publicité pour le « Nouvel État », 1938.
Le président Getúlio Vargas « Il reviendra toujours debout ». Ramponeau en plastique et plomb, fabricant non identifié, H. 8,5 cm, 1951 (©coll. de l’auteur).

Étonnamment, dans certains de ces pays, l’empreinte de l’endoctrinement des enfances passées demeure, non seulement chez les adultes plus âgés survivants, mais aussi chez les jeunes générations.

Diego M. Lascano
(© Texte et photos)