En Amérique-du-Sud de 1930 à 1970

Les pays du Cône sud de l’Amérique n’ont pas pu échapper aux tendances populistes dominantes en Europe durant la première moitié du XXe siècle. La politisation et la militarisation de l’enfance et de l’adolescence, menées par les Jeunesses hitlériennes en Allemagne, l’Opération nationale Balilla en Italie et le Front de la jeunesse en Espagne, se sont révélées très efficaces pour capter la volonté des enfants et des jeunes. Sans aucun doute, grâce à des pratiques redoutables d’endoctrinement, ils ont acquis très tôt un engagement envers le patriotisme et les idéaux autoritaires.

Le jouet au service de l’idéologie
Ces expériences ont inspiré divers régimes gouvernementaux et organisations politiques en Argentine, au Brésil et au Chili, qui, entre les années 1930 et 1970, ont reproduit certaines méthodes expérimentées en Europe pour manipuler la pensée et les habitudes des jeunes, dans le but de les rendre compatibles avec leurs programmes politiques. Le culte de l’idéologie et de la personnalité de plusieurs dirigeants sud-américains était représenté dans les miniatures quelque peu caricaturales que les enfants incorporaient dans leurs jeux, ainsi que dans les livres scolaires et les magazines pour la jeunesse.

En Argentine, la propagande du couple Perón
Le cas le plus significatif de politisation de l’enfance s’est produit en Argentine, sous la présidence de Juan Domingo Perón (1946-1955). Son épouse, Eva Perón, a créé la Fondation qui porte son nom et a distribué gratuitement des jouets aux enfants de familles à faibles revenus. Cette œuvre de charité n’était pas exempte de l’usage et de l’abus de la propagande politique, en plaçant des timbres et des cartes postales avec les portraits du président et de son épouse sur les jouets et en imprimant clairement les noms « Perón-Evita » sur les sacs qui les contenaient.

Parmi l’ensemble varié de la liturgie péroniste, les différentes figurines du général Perón monté sur son cheval tacheté, offertes par la Fondation, cohabitaient avec les petits soldats. Défilés militaires à échelle réduite que les enfants présentaient dans leurs salons.


D’autre part, alors que Perón faisait la promotion des industries automobile et aéronautique argentines, un fabricant non identifié produisit un jouet en composition représentant le modèle décapotable de la voiture Justicialista (péroniste), avec le président au volant et l’inscription Perón Cumple (Perón tient [ses promesses) sur les côtés.



De même, en 1953, la firme Trovador présente une maquette du Douglas DC-6 de la toute nouvelle compagnie Aerolíneas Argentinas, baptisée « Presidente Perón ».

Au Chili, milice et junte militaires
Au Chili, l’exemple le plus ancien de jouet lié à la politique est celui des soldats de la Milice républicaine. Cette organisation paramilitaire chilienne, qui comptait plus de cinquante mille membres entre 1932 et 1936, s’opposa au retour de l’armée en politique en réponse au coup d’État et à la formation ultérieure de la République socialiste du Chili en 1932. Ces figurines plates en bois étaient vendues au siège de la Milice républicaine à Santiago du Chili.

Vingt ans plus tard, lors de sa deuxième présidence (1952-1958), le général Carlos Ibáñez del Campo devint lui aussi un jouet, chevauchant son cheval en bois articulé.


Ce fut ensuite le tour de la Junte militaire du gouvernement (1973-1990), organisation présidée par le général Augusto Pinochet, qui apparut représentée dans des miniatures en plomb produites à partir du même moule, mais décorées des différents uniformes des militaires chiliens qui la composaient.


Au Brésil, l’instabilité du culbuto
Le Brésil n’a pas fait exception. Getúlio Vargas, qui avait gouverné le pays légitimement entre 1930 et 1937, puis de facto de 1937 à 1945, a utilisé un jouet symbolique pendant la campagne politique pour accéder à son deuxième mandat présidentiel (1951-1954). Il s’agissait d’un João Bobo (culbuto ou ramponeau en français), avec l’inscription Ele voltará sempre em pé (“Il reviendra toujours debout”), associant son retour à la présidence du Brésil au nom en portugais de ce type de jouet (sempre-em-pé). Cependant, la fin de Vargas n’a pas été vraiment « debout », car il s’est suicidé avant la fin de son mandat.


Étonnamment, dans certains de ces pays, l’empreinte de l’endoctrinement des enfances passées demeure, non seulement chez les adultes plus âgés survivants, mais aussi chez les jeunes générations.
Diego M. Lascano
(© Texte et photos)