Longue histoire et grande collection

Le jeu de l’Oie renouvelé des Grecs, en forme de labyrinthe, propose une image de la vie, de la Naissance jusqu’au Jardin de l’Oie, le Paradis, case 63. La progression du joueur est tributaire du hasard qui dépend de deux dés. Toutes les neufs cases, l’image de l’oie rythme son parcours, elle est l’illustration des aléas de la vie, sachant que le joueur ne peut y séjourner, soit il avance soit il recule, selon les points donnés par les dés, avec parfois des accidents néfastes : puits, prison, voire même retour à la case départ, signe de mort mais aussi de renaissance puisqu’il peut reprendre le parcours. Plusieurs cases sont symboliques : le Puits à la case 31, représente la connaissance ; l’Hôtellerie, case 19, c’est le repos ; la Mort en 58 renvoie à la case 1, le début de la vie ; le Pont, case 6, est le passage d’une rive à l’autre.
Les origines mystérieuses du jeu de l’Oie
Le plus ancien jeu de l’Oie connu date de la fin du 16e siècle. Pourquoi cette mention habituelle “Renouvelé des Grecs” ? Est-ce parce que ce jeu, selon H.-R. d’Allemagne, aurait été inventé pour distraire les guerriers achéens pendant le long siège de Troie ? Faut-il y voir une analogie avec le labyrinthe et le mythe du Minotaure ? Peut-on y voir, tout simplement, un argument publicitaire lors de sa création, la Grèce étant alors à la mode ? On ne sait. Quoiqu’il en soit ce jeu a toujours eu un grand succès aussi bien chez les enfants que chez les adultes, car il se prête facilement à l’illustration de thèmes divers.
Le Jeu royal de l’Oye

Ce Jeu royal de l’Oye renouvellé (sic) des Grecs, “Jeu de Plaisir et de Récréation, comme aujourd’hui les Princes et Grands seigneurs le jouent et le pratiquent” est le plus ancien de la collection. Il a été imprimé sur du parchemin par Pierre-Fiacre Perdoux, rue Royale à Orléans, actif de 1773 à 1805, avec des gravures sur bois grossièrement aquarellées au pochoir. Il date de 1783 et est conforme au plus ancien jeu de l’oie connu de nos jours, du début du 17e siècle. Surtout il est très proche de versions connues de Letourmy et de Sevestre d’Orléans. Il est richement décoré de fleurs dans les espaces non significatifs et les coins sont ornés de feuilles d’acanthe. La case 63 est illustrée d’un arc qui protège une oie nourrissant ses deux oisillons. Ce jeu est répertorié dans le livre d’Henri-René d’Allemagne sur le “Noble Jeu de l’Oie en France”.
La grande fête à Fouilly-les-Oies
Ce jeu a la particularité d’être un double parcours, l’un autour du carton de jeu, l’autre à l’intérieur de l’oie. La règle du jeu est affichée comme un avis du maire, M. Leblanc.

L’éditeur de ce jeu est Léon Saussine. Ce dernier, originaire de Lussan, près de Saussine dans le Gard, est un important créateur de jeux, successeur en 1864 de l’entreprise d’Hugues-Marie Duru, spécialiste de jeux éducatifs. En 1878, il se présente à l’Exposition universelle comme un fabricant de jeux instructifs et de cartonnage, de boîtes de merceries, de tapisseries, de loteries et patiences, de jeux magnétiques, d’ombres chinoises et de boites de jeux réunis… Il signe ses productions de ses initiales LS. Son fils, Georges qui lui succède en 1899, dépose un brevet d’un jouet d’ombres chinoises avec animation d’horlogerie dont un exemple a été fourni dans notre notice sur les théâtres d’ombre. Cette invention sera améliorée en 1921 par Maurice, le petit-fils, avec l’Ombro-cinéma. L’entreprise ne se relèvera pas de la Seconde Guerre mondiale et disparaîtra en 1980.

Les jeux de l’Oie et la publicité
Grâce à l’invention dans les années 1880 de la zincographie et surtout de la chromolithographie, le coût de l’impression en couleurs va considérablement baisser. Parallèlement la technique de la vente évolue, la réclame prend de plus en plus d’importance. Apparaît dès lors l’opportunité d’associer publicité et jeux pour adultes et enfants. Le jeu de l’Oie semble parfaitement répondre à ce projet.
• Le Jeu de l’Oie du conscrit
Ce jeu date des années 20. Le plateau est contrecollé sur un carton fort. Il ne s’agit pas ici d’un jeu d’inspiration militaire, comme le Jeu de l’Oie du conscrit n°3 édité par Pellerin en 1860, mais d’un jeu publicitaire du fil “Au conscrit”.

Il a été imprimé par Th. Wartel à Lille-Paris. Aux coins inférieurs sont représentées les usines d’Hellemmes près de Lille et l’usine de Lille. La case n°1 montre un champ de lin et la case n° 57, la dernière, montre l’arrivée du conscrit. Entre ces deux cases, le joueur parcourt divers temps forts de la marque : de 1850, date de sa création, jusqu’à la Première Guerre mondiale avec la destruction des usines puis leur reconstruction après la guerre.
• Le nouveau Jeu de l’Oie du Lion Noir

L’imprimeur est ici anonyme. Il date vraisemblablement des années 30. Présenté par Frottinette et Frottinet, les deux petits personnages emblèmes de la marque, il a été réalisé pour promouvoir les produits Lion Noir : Argentil ou Miror. Il n’a que 49 cases qui sont rythmées par divers aléas : à la case 4, c’est “le cirage Machin”, nécessairement mauvais, à la case 8 c’est “la boîte à ordure”, à la case 32, c’est “la mauvaise encaustique”, etc.
• Le Jeu de l’Oie du chocolat Menier
Qui ne connaît le chocolat Menier ? Quel collectionneur n’a pas été tenté de réunir des souvenirs de cette entreprise fondée en 1816 et disparue en 1971 ? J’ai déjà eu l’occasion de faire référence aux tirelire-kiosques “Chocolat Menier”, celle de 1895 illustrée par Firmin Bouisset et celle des années 30 illustrée par Édia, à propos de la notice sur la Caisse d’épargne et les tirelires.

Il n’est donc pas étonnant qu’un jeu de l’Oie ait été édité dans les années 1900, avec l’image de la petite fille de Firmin Bouisset, par l’imprimerie Art décoratif sur bois, 21 rue Ganneron Paris (18e). Le plateau est contrecollé sur une planchette au dos de laquelle il y a un jeu de dame.
Le Jeu de l’Oie, l’histoire et la politique
• La Poule d’Henri IV
Dans ce jeu de l’Oie, sous titré “Les délassements du père Gérard”, cette poule est dite avoir été mise au pot en 1792. Ce jeu est qualifié de “Jeu national”. (Voir aussi “Jeux politiquement incorrects”).
Rappelons que ce Père Gérard est un paysan du pays de Rennes, Michel Gérard (1735-1815), qui a siégé lors de l’Assemblée nationale constituante de 1789 où fut votée la Constitution. Il devint célèbre après avoir été salué par le roi, le jour de la présentation des députés, par un “Bonjour, bonhomme !”. Il s’illustra par ses manières, son costume, et le ton direct de ses interventions.

Ce jeu de l’Oie est une gravure dessinée par Carl de Vinck, imprimée chez Treuttel à Strasbourg, en 1792. Les étapes du parcours vont de la case 1 Egalité à la case 83 La nouvelle Constitution figurée par une corne d’abondance, précédée de la case 82 Le Paradis. Il est précisé que ce Jeu national a pour but l’instruction et le plaisir et non le désir d’enlever aux autres ce qu’ils ont. Un petit texte moral sur la droite de la feuille nous apprend que “Le ciel envoya Henri IV, prince plein de bonté, qui aimait tous les hommes, fit le bonheur de la Société par son respect pour la loi et désira le bien public”. Rien ne laisse prévoir avec ce jeu la Terreur toute proche !
• L’Alliance franco-russe
Voici, comme le précédent un jeu typiquement de propagande.

Ce grand jeu de l’Oie célébrant l’Alliance franco-russe a été offert aux lecteurs du Petit Journal et du Journal illustré pour les étrennes de 1892, en même temps que les vœux et les souhaits de la rédaction du Journal illustré. À l’époque, cette Alliance fut un évènement politique très important qui enthousiasma la France entière. On y retrouve toutes les allégories relatives à la Patrie et à l’Empire Russe : le Tsar Alexandre III, les Popes, la Marine, les Troïkas, l’Aigle Impérial… Il n’a que 50 cases, la dernière représentant deux femmes symbolisant la France et la Russie se serrant la main.
• Les inventions “Fin de siècle”
Cette planche chromolithographiée a été éditée par Saussine en 1891. Le parcours répertorie les grandes inventions du 19e siècle, telles la locomotive sur rail, la lumière électrique, les bateaux à vapeur, le gaz d’éclairage, la chromolithographie, la machine électrique, le daguerréotype, la photographie, le moteur à gaz, le vélocipède, le téléphone, le ballon dirigeable, la Tour Eiffel, le Code civil, la carte postale…

Dans les angles, des illustrations représentent la physique, les beaux-arts, la sténographie, la littérature, la chimie, la médecine et l’astronomie.
• La Grande Guerre et l’actualité
Ce jeu intitulé “Jusqu’au bout” et sous-titré Nouveau jeu de la Guerre de 1914, a été imprimé par Henri Bousquet à Paris, vers 1916, donc bien avant que l’on connaisse l’issue de cette guerre.

La règle imprimée au centre précise que : « l’une des règles essentielles du jeu est qu’il est interdit à tout joueur de se poser sur le Armes des Nations Alliées qui sont disposées de 9 en 9 ». Les cases représentent des scènes de la guerre et des personnalités des différents pays. Les blasons des nations en guerre remplacent les oies. La case n°1 fait référence à l’attentat de Sarajevo, la case 63 regroupe les Alliés sous le bas-relief de la Liberté guidant le peuple « pour le droit, l’honneur et la civilisation ».
• La Seconde Guerre, de l’Occupation à la Libération
Ce jeu a été imprimé en offset couleurs en 1945 par Boechat à Bordeaux. Le parcours traditionnel de 63 cases va de l’Occupation, symbolisée par une botte allemande et la date de 1940 sur une carte de France, à la Libération représentée par le général De Gaulle recevant un bouquet sur fond de drapeau tricolore.

Ce jeu de l’Oie a été réédité par le journal France Soir en 1994 pour le cinquantième anniversaire de la Libération de Paris. La version présentée est l’originale.
• Les “Panama Papers” avant l’heure
La lithographie du Jeu du Lapin de la Grande Thérèse a été dessinée par Fernand Fau, gravée par Vignerot et Demoulin, et imprimée par Charaire à Sceaux, en 1903. Ce rare jeu judiciaire, au parcours de 63 cases disposées en spirale, évoque l’Affaire Humbert, un énorme scandale financier de la fin du 19e siècle qui se solda en 1902 par la condamnation du couple Humbert à cinq ans de prison.

Selon la règle inscrite au centre du jeu, celui-ci « se joue avec deux dés non pipés ; après s’être lavé les doigts chaque joueur les jettent à son tour et compte autant de points que les dés en indiquent ; chacun a sa marque, une bonne marque si possible ! Il est interdit de se les jeter à la tête… ». Les oies sont remplacées par un lapin qui change de couleur, symbolisant à la fois la tromperie et la naïveté. À la case 63 des lapins dansent autour d’une stèle marquée Panama, allusion à l’Affaire de Panama autre grand scandale de la fin du siècle. La légende stipule : « Debout, toujours debout sur un grand coffre-fort, Éternellement le lapin sera fort. Entrez dans la danse, voyez comme on danse La Panama toujours en France” » Rappelons que l’imprimerie Charaire fut fondée en 1872 par Michel Charaire, par ailleurs maire de Sceaux ; elle devient en 1945 l’Imprimerie de Sceaux, pour fermer définitivement ses portes en 1972, après un siècle d’existence.
Le Jeu de l’Oie et les transports
• A la conquête de l’air
Ce Jeu de l’Aéro, sous-titré Vive l’aviation est breveté SGDG, Made in France.

Il simule un raid aérien, avec toutes ses péripéties, sur 53 cases. Y sont honorés les grands aviateurs français, de Blériot à Voisin, et les dates majeures de l’aviation de 1897 avec Ader à 1919 avec Alcook et Brown traversant l’Atlantique sans escale. Le fait que soit omis le vol en solitaire de Lindbergh, reliant New York à Paris en 1927, permet de situer ce jeu au début des années 20.
• Voyage en tramway

Ce jeu de parcours, attribué à Saussine, date des années 1880. Il se présente sous forme de deux pistes tournant en sens inverse de 63 cases sur lesquelles circulent des tramways hippomobiles. Les oies sont remplacées par des chevaux.
Le Jeu de l’Oie et l’architecture
• Les monuments de Paris
Ce jeu a été édité à Paris par Bouasse-Lebel, en 1845. La lithographie est montée en deux parties collées sur un carton fort. Il dispose de 63 cases qui représentent des lieux d’intérêt à Paris avec des scènes supplémentaires dans les coins. Il a été publié pour la première fois par Basset en 1820 et réimprimé par plusieurs éditeurs dans des versions différentes. Chaque case est illustrée d’une vue de Paris : la Porte Saint-Denis, le Palais Royal, le Quai d’Orsay, la colonnade du Louvre, le Panthéon. Tous jouent un rôle dans l’intérêt du jeu et influent sur la progression des joueurs. La case ultime, le numéro 63, accueille l’Arc de Triomphe. Au-dessus flotte un coq sur fond de soleil, symbole de la Monarchie de Juillet.

Le Jeu de l’Oie et la vie quotidienne
• Le baptême de Bleuette
Ce jeu de L’Écervelée a été dessiné par M. Saurel et imprimé en 1905 comme supplément au N° 2 de La Semaine de Suzette. Le parcours chromolithographié est composé de 45 cases numérotées. Il décrit les mésaventures de la petite Madeleine invitée par son amie Marguerite au baptême de la poupée Bleuette, dont la représentation rythme le parcours. Rappelons que cette poupée à tête en biscuit, haute de 27cm, avait été primitivement offerte en prime aux abonnés de La Semaine de Suzette.

Le Jeu de la Grande Roue de Paris
Ce jeu a été édité en 1900 par Simonin-Cuny. Il commémore l’Exposition universelle de 1900. Il est constitué de 45 cases où figurent de nombreux monuments parisiens. Le parcours est tout à fait classique. Rappelons que de 1898 à 1904, date de son absorption partielle par les Jeux et Jouets Français, la manufacture Simonin Cuny a produit des jouets divers (poupées, figurines, ménagères…) mais aussi des cartonnages et des jeux de société.

Le Jeu de l’Oie aux armées
• Le régiment
Mauclair-Dacier a imprimé, dans les dernières années du 19e siècle un jeu de l’Oie décrivant la vie militaire, intitulé Le Régiment. Il est présenté comme “un nouveau jeu que nous dédions à la jeunesse française, il sera certainement accueilli avec le plus grand plaisir. Dessiné par un de nos meilleurs artistes et établi avec les plus grands soins il retrace exactement, sous une forme amusante et intéressante, les diverses péripéties de la vie militaire. Les jeunes gens sont ainsi initiés aux épreuves qui les attendent dans cette carrière, et comme le hasard les amène à différentes situations, ce jeu devient des plus attrayants pour eux.”

Les oies traditionnelles sont remplacées par des officiers. Rappelons que Mauclair-Dacier apparaît en 1893 comme maison d’édition spécialisée dans les jeux, les théâtres d’ombres, sise au 29 de la rue Charlot. Elle sera absorbée par Les Jeux réunis en 1904.
• La Marine
Ce jeu qui date de la seconde moitié du 19e siècle comporte 63 vignettes gravées sur bois, illustrant divers épisodes de la vie maritime. Le parcours va de la case n°1, le Pilote, à la case 63, le Port, qu’il faut toucher pour gagner la partie. La case 62 évoque Sébastopol. Les oies sont remplacées par des phares. Il est rythmé de plusieurs accidents : le Bassin de radoub (à Toulouse) au n° 12, la perte de la boussole au n° 42, un écueil au n° 57… Aux quatre coins sont dessinés des navires et au port figurent un phare et de nombreux fanions. Il a conservé une grande fraîcheur de couleur. L’éditeur est inconnu.

Le Jeu de l’Oie et la littérature
La littérature est représentée dans cette collection par deux livres de Jules Verne.
• Le Tour du monde en 80 jours
Ce jeu, édité par la société Les Jeux et Jouets Français, date de 1895. Sur 80 cases numérotées, il relate le périple autour du monde de Monsieur Phileas Phogg (sic) et de son serviteur Passepartout en case n° 1, jusqu’à la case n° 80 “Messieurs je vous salue”. Les cases 1 à 42 sont disposées autour de la planche, les suivantes tournent autour d’un planisphère central. Quatre vignettes : Vue de Londres, La Demande en mariage, Au Reform-Club et Le Retour, terminent le jeu. L’imprimeur est Roche frères à Paris.

• Le Testament d’un excentrique
Ce roman écrit en 1897 et édité en grand format illustré en 1900 chez l’éditeur Hetzel, relate une gigantesque partie du jeu de l’Oie à l’échelle des États-Unis, appelés l‘Union à l’époque, dans laquelle chaque case correspond à un État des États-Unis. Ce livre raconte comment un richissime excentrique décide de léguer sa fortune à l’un des habitants de Chicago, ville rendue fameuse par l’Exposition universelle de 1893. Ainsi, à sa mort, un tirage au sort est organisé et six “chanceux” sont désignés. Mais, afin de déterminer qui entrera en possession de la fortune convoitée, ils doivent disputer une partie de jeu de l’Oie, à l’échelle des États-Unis.

Le livre conserve, inséré entre les pages 160 et 161, le parcours du mémorable jeu de l’Oie. Dans son édition originale in quarto, il est relié avec le cartonnage rouge au globe doré, dos au phare, tranches dorées. Il est illustré de nombreuses gravures in et hors texte par George Roux.
Biblio

“Le Jeu de l’Oie au Musée du jouet”, Éditions Ville de Poissy, 2000.
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