Toute la lumière sur le théâtre d’ombres
Les ombres chinoises sont d’origine obscure. Les Chinois prétendent en avoir été les précurseurs. Certains écrits chinois affirment qu’elles sont apparues à l’époque T’ang vers le VIIIe siècle, d’autres les situent sous la dynastie des Song au Xe siècle. De la Chine, les ombres auraient gagné la Malaisie, l’île de Java, puis la Perse, le Moyen et le Proche Orient, enfin l’Europe et la France vers 1760.
La magie du spectacle ambulant
En Chine, d’après un récit de voyageur, le bateleur-montreur d’ombres qui, monté sur un tabouret, les mettait en mouvement, était enveloppé jusqu’aux pieds de larges draperies de cotonnade bleue. Une boîte représentant un petit théâtre était juchée sur ses épaules, au-dessus de sa tête ; ses mains agissaient pour manipuler les silhouettes à l’insu du public. Hautes d’une trentaine de centimètres, elles étaient découpées dans une peau mince et transparente. Richement décorées, délicatement ajourées, peintes de couleurs translucides et vernies, mues par des baguettes de bambou, elles étaient placées devant une source lumineuse, en général une lampe à huile. Les silhouettes différaient d’une région à l’autre. Les créations pékinoises étaient faites de peau d’âne avec des têtes interchangeables, des articulations aux épaules, aux coudes, aux poignets, aux hanches, genoux et chevilles ; celles de la Chine du sud étaient en peau de mouton. Leur forme et leur couleur correspondaient à une symbolique précise, la couleur rouge étant propre aux héros.
Les chinoiseries et arabesques du Sieur Séraphin
En France, ces ombres deviendront populaires grâce à François-Dominique Séraphin qui avait installé son Théâtre d’abord dans les jardins de l’hôtel de Lannion à Versailles, vers 1772, pour un spectacle intitulé “Spectacle des ombres à scènes changeantes”, puis à Paris, dès 1784, au Palais-Royal, Galerie de Valois sous l’enseigne “Ombres chinoises et jeux arabesques du Sieur Séraphin, breveté de Sa Majesté”. Après la mort de l’artiste en 1800, le théâtre périclitera, mais renaîtra à la fin du siècle au cabaret du Chat Noir, sous l’impulsion de Rodolphe Salis.
Le souvenir de Séraphin perdurera grâce à l’imagerie de Nancy et d’Épinal. Pellerin éditera des planches de silhouettes à découper et à animer pour des théâtres enfantins.
Le théâtre d’ombres musical de la maison Saussine
De nombreux théâtres d’ombres chinoises pour enfants ont été édités sous forme de jouets jusqu’au début du 20e siècle. Il s’agit de boîtes magnifiquement décorées, munies d’un écran en gaze blanche vernie au copal derrière lequel sont animées, à l’aide de tiges de fil de fer, des silhouettes de couleur noire en papier découpé et collé sur du carton.
Le théâtre qui illustre notre propos, est une superbe grande boîte réalisée par la maison Saussine qui s’intitule “Jeux d’ombres chinoises fonctionnant automatiquement”. Tableaux transparents à feux variés changeant automatiquement. Il est agrémenté d’un mécanisme musical à un air permettant de faire tourner des disques chromatiques sous des scènes de feux pyriques illustrées par Ludovic. En rabattant le plateau avec musique, un autre disque permet d’animer des ombres chinoises diverses sous un écran translucide.
À l’intérieur du coffret, se trouvent :
- Six tableaux décorés et perforés ;
- Plusieurs cartons de couleur violette portant des bandes servant à stocker les silhouettes noires. En outre, il existe de nombreuses silhouettes à découper ou à coller ;
- Un mode d’emploi en français et en anglais qui explique le fonctionnement des jeux d’ombres chinoises marchant automatiquement et des tableaux transparents à feux variés changeant automatiquement, le tout grâce à l’action de la boîte à musique. Précisons que ce spectacle, qui ne peut se voir que de jour, fait le soir un effet superbe.
Demandez le programme
Des spectacles étaient organisés par les enfants pour leurs petits amis. À cette occasion on distribuait un programme dont un exemplaire, qui semble faire allusion au tapis roulant de l’Exposition Universelle de Paris en 1900, nous est parvenu. Par ailleurs, les éditeurs de théâtres d’ombres diffusaient des petits opuscules qui rappelaient le souvenir de Séraphin, donnant des canevas pour ces saynètes.
L’Ombro-cinéma
D’autres théâtres d’ombres, contenus dans des coffrets richement décorés et faisant fonction de scène, sont constitués par une bande de papier transparent qui se déroule grâce à l’entraînement d’une boîte à musique mécanique, devant une source lumineuse et derrière un écran transparent sur lequel a été peinte une grille. Les silhouettes sont dessinées dans deux positions légèrement décalées. La trame de l’écran, permettant un effet stroboscopique, crée le mouvement. C’est l’Ombro-cinéma fabriqué vers 1920 par la maison Saussine.
Les spectacles d’ombres sont tombés en désuétude. Même en Chine, ils sont menacés d’extinction. On réédite pour les nostalgiques Les théâtres d’ombres du Père Castor depuis les années 30 ou les Ombres animées de la lanterne magique des années 50. Seuls quelques artistes tentent encore de faire partager la poésie qui naît de la manipulation de ces théâtres d’ombres, fenêtres ouvertes sur l’imaginaire.
Estimations : Les planches d’ombres chinoises d’Épinal se négocient entre 120 et 180 € pièce. Les théâtres d’ombres, selon leur état, s’échangent entre 300 et 600 €. Un théâtre Saussine identique à celui présenté ici, évalué entre 350 et 550 € par François Theimer, s’est vendu 550 € en 2015. L’Ombro-cinéma estimé entre 90 et 120 € par le même expert a trouvé preneur à 180 € en 2017.
Biblio
“Les Théâtres d’ombres”, par Denis Bordat et Francis Boucrot. Éditions L’Arche, 1956.
“Magie lumineuse, du théâtre d’ombres à la lanterne magique”, par Pascale et Jac Remise et Régis van de Walle, Éditions Balland, 1979.
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