Les jeux éducatifs

1 – Lire et compter

Pour un enfant, jouer n’est pas seulement se distraire, c’est aussi apprendre et se préparer à sa future vie d’adulte. C’est le but des poupées pour les petites filles, c’est le rôle des soldats de plomb pour les jeunes garçons. Il semble que de tout temps on a voulu apprendre en s’amusant. J’en veux pour preuves l’imprimerie que reçoit Louis XVII au Temple ou la lanterne magique qu’utilise Madame de Genlis pour l’initiation à l’Histoire du comte d’Artois, futur Charles X, mais aussi les châteaux de cartes pour lui donner une idée de l’architecture, les jeux éducatifs, les jeux de construction, les jeux de maquettes de navire…
Dès le 19e siècle, avec l’industrialisation de la fabrication des jouets, nombreux sont les jouets éducatifs à être créés. Beaucoup de ces jouets se veulent le prolongement des activités scolaires. Nous nous proposons de les passer en revue sans prétendre être exhaustif : écrire et compter ; l’histoire et la géographie ; la physique et la chimie ; l’histoire naturelle ; l’art, la musique et la littérature ; la religion.

Le B.a.-ba

Alphabet imprimé par Mégard & Cie, vers 1850 (© coll. CL).

Au temps où l’écriture inclusive n’existait pas, où on ne discutait pas des avantages de la méthode globale sur la méthode syllabique pour appendre l’orthographe, l’alphabet était le moyen de base pour enseigner l’écriture et la lecture. Le résultat n’était pas si médiocre puisque la tradition veut que nos ancêtres maîtrisaient mieux l’écriture et la lecture que les enfants actuels. Il est évident que la manière la plus efficace d’enseigner l’écriture, c’était l’alphabet.
Les alphabets les plus anciens sont des petits opuscules sans la moindre illustration. Ils étaient bien austères ! À l’exemple de ce petit livre imprimé par Mégard & Cie, imprimeur-libraire à Rouen, datant du milieu du 19e siècle et qui était vendu par les colporteurs qui se déplaçaient de village en village.

L’attrait de l’image

Avec l’invention de la chromolithographie, ces livres se parent d’illustrations comme cet alphabet de l’imprimerie Pellerin d’Épinal qui montre bien qu’on peut apprendre à lire tout en s’amusant au milieu de ses jouets.

Pour que l’apprentissage des fondamentaux devienne un jeu d’enfant.

Les jouets instructifs

Mais ce qui est le plus captivant pour un enfant, ce sont les jouets, aussi laissons ces livres alphabet pour nous intéresser à quelques jouets instructifs. Le plus simple de ces jouets, c’est un jeu de cubes alphabétiques qui s’emboitent les uns dans les autres. Entre le jeu de construction et le puzzle, c’est le premier jeu éducatif de l’enfant. Ces cubes sont à images, avec des scènes collées et découpées sur chacune de leurs six faces. Sa finalité est de familiariser le petit enfant à la forme des lettres et de lui faire correspondre un objet ou un animal qu’il connait, qu’il sait désigner ce qui permet de faire le lien entre ce nom et la lettre. Ces cubes sont attrayants du fait des couleurs vives et gaies qui les embellissent et le petit enfant s’amusera à les empiler ou les déplacer, apprenant les lettres en jouant.

Cubes en carton coloré.

Leur origine semble dater du début du 19e siècle, mais l’invention de la chromolithographie aura pour conséquence que de nombreux jeux seront produits dès le milieu du 19e siècle. Celui présenté ici date des années 30. Les cubes sont en carton, pour le plus grand sa dimension est de 9 cm de côté.

L’Alphabet mobile Thollois, appelé Aux Amis de l’enfance, s’adresse à des enfants plus âgés du niveau du cours préparatoire-cours élémentaire. Bien avant notre “dictée sans crayon” qui plaît tant aux enfants, certains pédagogues avaient pensé à utiliser des lettres mobiles pour apprendre à lire. C’était le cas avec le Bureau typographique de Dumas de 1732. Louis Thollois créera à son tour, comme cela est précisé sur l’étiquette, une méthode universelle de lecture, d’orthographe et de calcul au moyen de caractères mobiles.
Louis Thollois était né à Paroy-en-Othe dans l’Yonne, en 1814. Il fut instituteur dans ce département, à Bellechaume puis à Arces avant de mettre au point sa méthode en 1889, qui fut relayée largement par la presse, et qui reconnue par les autorités académiques de l’époque. Après son décès, en 1912, on trouvait encore la publicité de la méthode dans les publications pédagogiques et le matériel didactique continuait d’être fabriqué à Arces et édité à Auxerre, chez Callé, Jay et Laulanie, Éditeurs.
Cet alphabet se présente comme un coffret dont le couvercle est orné d’une chromolithographie représentant un enfant au col de dentelle, tenant la lettre A. Il est entouré de ses petits camarades qui, sur leur banc de classe, en font autant. Sur cette étiquette, sont énumérées les nombreuses médailles qui ont récompensé ce jouet depuis 1875.

L’alphabet mobile Thollois.

Le matériel est constitué d’un casier-tableau en bois verni divisé en 56 compartiments refermant 320 lettres majuscules et minuscules de A à Z, des chiffres de 0 à 9, des signes de ponctuation et d’accentuation, imprimés sur des cartes de zinc recouvertes de papier. Le revers du couvercle porte des rainures pour que l’élève y dépose les cartes qui constitueront les sons, les syllabes, les mots ou les phrases demandées. Comme l’enfant a toujours, on le sait, la tendance de faire et défaire, bâtir et démolir, c’est sur cet instinct enfantin qu’est basée la méthode Thollois.

Le coffret ouvert, 10,5 x 25 x 3,5 cm.

Comme le souligne L’Enseignement pratique du 2 janvier 1898 : le principe semble pratique et rationnel. Pour les enfants, il y a là une distraction, et pour les maîtres une aide dont ils tireront utilement parti.
Comme nous l’indique une publicité de 1890, le matériel didactique était soit constitué de casiers individuels de taille variable pour les élèves, comme celui présenté dans cette notice, soit se présentait sous un format collectif pour le maître.

Voici un autre jouet permettant à l’enfant d’apprendre les rudiments de la lecture : le loto alphabétique. Ce loto pour enfants propose des cartons joliment illustrés par des dessins correspondant avec chacun des 3 mots de 5 lettres écrits sur les cartons. À la différence des lotos habituels, on n’utilise pas des numéros mais des lettres désignées tour à tour par une roue.

Le loto alphabétique, 34 x 22 cm.

Une boîte contient des jetons pour marquer son carton. Le tout est contenu dans un coffret illustré d’une lithographie montrant une salle classe. Au dos du couvercle est collée la règle du jeu.

La règle du jeu de loto MD/JJF.

Sur cette règle figure les initiales du fabricant MD Paris. Il s’agit de Charles Mauclair né à Paris, en 1865, de père inconnu. Sa mère de 20 ans, Marie-Louise Mauclair épousera en 1866 le cordonnier Victor-Jules Dacier, veuf et père de trois enfants. Charles, qui se fera alors appeler Mauclair-Dacier, fondera, en 1887, le Comptoir général des jeux, fabricant de billards et accessoires, sis au 81 bd Sébastopol. Les Ets Mauclair-Dacier émigreront, en 1897, 29 rue Charlot. Charles Mauclair apparaît aussi, en 1893, comme fabricant de jouets rue des Haudriettes. Cette entreprise sous le sigle MD fabriqua toutes sortes de jeux : ombres chinoises, loto animé, nain-jaune… Elle est surtout connue pour ses Caisses-étrennes, boîtes de jeux réunis contenant une foule de jeux variés et amusants. En 1904, la marque MD fusionnera avec d’autres pour former Jeux et Jouets Français (JJF), sis 10 rue de la Douane. JJF cessera d’exister en 1931.

Facture JJF de 1906.

Jusque-là, chacun des membres associés aura continué d’exister, seuls les intérêts commerciaux étant mis en commun. C’est ce qui explique que sur l’étiquette figure la marque MD Paris, alors que la boîte est siglée JJF.

Pour initier le jeune enfant au calcul et aux difficultés de la table de multiplication, une telle table a été conçue par la SAPS, rue Massol à Béziers sous le nom de La Pédagogie moderne. C’était un “tableau calculateur à l’usage des petits enfants”, breveté SGDG, en vente au prix de 15 fr. dans toutes les librairies, papèteries et comptoirs d’articles scolaires.

La table de multiplication, 19,5 x 19,5 cm.

Ce jouet didactique qui date des années 1920, se présente comme un tableau carré, avec 9 boutons de métal en abscisse et 9 boutons en ordonnée. Ces boutons servent à mobiliser des languettes sur lesquelles sont imprimés des chiffres primitivement cachés et qui se découvrent grâce à des trous percés sur la surface du tableau. Quand on tire simultanément sur une languette d’abscisse et une languette d’ordonnée, un chiffre se découvre à la jonction des deux languettes, résultat de la multiplication des 2 chiffres mobilisés, ici 3 et 4 qui font 12.

Estimations : L’alphabet mobile de Thollois passe assez rarement en salle des ventes, son prix se situe entre 50 et 100 €. Le loto alphabétique peut être évalué entre 130 et 140 €. La table de multiplication, elle aussi rare, on peut la trouver pour environ 10 €.

Claude Lamboley

Collectionneur de jouets anciens