Factures et vieux papiers

Collectionner des jouets anciens, ce n’est pas seulement une nostalgie qui pousse le collectionneur à retrouver les jouets qui ont illuminé son enfance et d’éventuellement les décliner dans toutes les variétés qui ont été imaginées par les fabricants de jouets. C’est le cas, par exemple, des collectionneurs de poupées Barbie ou d’ours en peluche. Non !
Pour certains, dont je suis, c’est également essayer de préserver un patrimoine, souvent dénigré, témoin des goûts et d’un savoir-faire d’une époque, reflet d’une société.
Documents historiques
Dès lors, collectionner les jouets c’est essayer d’identifier leur histoire grâce à de nombreux ouvrages d’historiens ou de collectionneurs, dont les plus anciens sont H.R. d’Allemagne et Léo Clarétie, ouvrages qui se sont multipliés dans les années 1960-1980, mais aussi s’intéresser à des témoins plus modestes que sont les factures des fabricants et marchands de jouets. Celles-ci sont surtout collectionnées par les amateurs de vieux papiers, souvent pour leur graphisme ou leur décor, mais aussi, c’est probablement plus rare, par les collectionneurs de jouets. Ces factures sont en effet riches d’informations sur la date de création de l’entreprise, le nom du prédécesseur quand elles ont été reprises, son ou ses adresses successives, les jouets qu’elles fabriquaient ou vendaient, les récompenses qu’elles ont gagnées dans les expositions. Qui plus est, elles sont souvent ornées de belles lithographies dans le goût de l’époque.
Les enseignes des magasins de jouets
• A la Galerie Vivienne
En en-tête de notre notice, cette facture de 1892, de la Galerie Vivienne grands magasins de jouets sis rue Neuve des Petits-Champs, à l’origine maison Guillard, Rémond successeur (Lire Le Percepteur).
• Au Polichinelle Vampire
Nous collectionnons ces factures depuis longtemps aussi avons-nous quelques exemplaires fort anciens comme celui-ci qui date de la Restauration, exactement de 1836, et qui rappelle le souvenir du « Polichinelle Vampire », sis aux n° 8 et 10 du Passage Choiseul à Paris, présenté dans le Petit courrier des dames, journal des modes daté du 25 décembre 1835, comme l’enseigne du « Roi des magasins de jouets ».

• A la Reine d’Angleterre, maison Simonne
Ou encore, cette facture qui date de 1857, témoignant d’un magasin « À la Reine d’Angleterre », maison Simonne, qui deviendra célèbre dans le monde des collectionneurs de poupées. Il était sis aux n° 5, 7 et 9 du Passage Delorme et se présente comme “Un grand magasin de jouets d’enfants de France et d’Allemagne, fabrique spéciale de bébés et poupées habillées, de tabletterie et jeux de société”. Elle est intéressante car elle donne un témoignage de la clientèle de ce magasin : la vicomtesse de Lamotte, 56 rue de Lille.

• Au Nain bleu
Nous avons aussi le témoignage du dernier grand magasin de jouets de la capitale, le Nain bleu appartenant à la famille Chauvière, qui ait perduré de 1836 à 2006. Elle date de 1876, la grande époque, et est signée par Édouard Louis Chauvière. Le magasin est situé au 27 Boulevard des Capucines, face au Grand-Hôtel. On y vend particulièrement des chevaux mécaniques et des voitures d’enfants.

• Le Marchand des princes
Enfin pour conclure cet inventaire des marchands de jouets parisiens, n’oublions par l’un des plus anciens, Alphonse Giroux, « Le marchand des princes », installé depuis 1799, au 7 rue du Coq Saint-Honoré puis boulevard des Capucines sous l’enseigne « A. Giroux à Paris » puis « Alphonse Giroux et Cie ». C’était ce qu’on appelait sous l’Ancien régime, un marchand-mercier, fabriquant parisien de meubles et d’accessoires de luxe destinés à une clientèle aristocratique et bourgeoise. On y vendait également des jouets. Ainsi, le 6 juin 1818, il dépose le brevet du kaléidoscope qu’il appelle aussi le “transfigurateur”. Ce nouveau jouet fera fureur. Intéressé par l’optique, Giroux père est non seulement l’inventeur du kaléidoscope mais aussi le dépositaire exclusif du daguerréotype. La maison Alphonse Giroux est cédée en 1867 à Duvinage, cousin d’Alphonse Giroux fils, et sera dirigée par sa veuve de 1874 à 1882. Après une ultime reprise par Philippe et Arnut, le magasin ferme définitivement en 1885. Nous possédons une facture datée de 1874.

L’ouverture des Grands magasins
Vers le milieu du siècle, en 1852, apparaîtront les Grands magasins, comme le Bon marché, le premier d’entre eux, fondé par Aristide Boucicaut, qui prendront le pas sur les petits magasins de jouets qui auront des difficultés à lutter contre cette concurrence.
• Le Petit Saint-Thomas
Nous n’avons pas de factures de ces derniers, ayant privilégié leurs catalogues d’étrennes, mais nous avons une facture d’un de leurs prédécesseurs datant de 1864 : Le Petit Saint-Thomas, magasin de nouveauté qui s’ouvre à Paris en 1810, à l’angle de la rue du Bac et de la rue de l’Université, au numéro 30. Préfigurant les futurs Grands magasins, il deviendra célèbre dans toute la ville, véritable coqueluche de la bonne société parisienne.

Ce bazar a été fondé en 1810 par M. Mannoury. Profitant de la prospérité de l’économie des premières années du règne de Louis-Philippe, le bazar commencera par élargir son offre avec notamment des livres et des jouets à la période des étrennes. Il inventera et développera la vente par correspondance et initiera différentes expositions temporaires.
Surtout, il sera le premier commerçant de la capitale à afficher publiquement ses prix et à créer le principe des soldes. Le Petit Saint-Thomas est à son apogée sous le Second Empire. Il résiste à la création du Bon Marché par un de ses employés, en 1852. Mais, avec la défaite de 1870 tout s’écroule. Le Petit Saint-Thomas en subit le choc, mais rebondit, s’adapte au progrès, en particulier s’équipe électriquement et se reconstruit en se modernisant, en 1897. La maison s’est perpétuée jusqu’en 1913.
Claude Lamboley
Collectionneur de jouets anciens